Retrouver Montréal

???????????????????????????????Retrouver une ville après si longtemps, c’est comme avoir donné rendez-vous à quelqu’un qu’on n’a pas vu depuis vingt ans. On appréhende. Aura-t-il (t-elle) des cheveux blancs? De l’estomac? Sourira-t-il (t-elle) encore aussi bien? Marchera-t-il (t-elle) toujours avec le même entrain? Alors, on aborde la personne – la ville – de biais. On la prend par surprise un dimanche de mai. Manque de chance, il fait gris, le vent s’engouffre entre les bras jetés en l’air (gratte-ciel). La chose, ou personne, ou ville, n’est pas à son avantage. On marche rue Saint-Denis, un peu courbés (par le vent), on ne retrouve plus les bistrots d’antan, mis à part peut-être « La brioche lyonnaise », tiens, elle subsiste, celle-là. Elle a même ouvert une terrasse arrière. Plus loin, le café où nous prenions le petit dej. avec un muffin aux bleuets n’existe plus. Il semble que la façade du grand cinéma ait été refaite. Le boulevard Saint-Laurent tombe en déshérence.

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Quant au Carré Saint-Louis, n’en parlons pas. Lui qui était l’arbitre des élégances… mais il est en travaux, peut-être s’améliorera-t-il. Quant à Prince-Arthur, où nous dinions dans le chic, une rue piétonne avec quelques enseignes de fast-food. De premières retrouvailles un peu mitigées donc…. Alors on prend la ville par un autre bout. Si nous la prenions résolument par l’Est? Parti pris idéologique. Montréal n’échappe pas à la règle de Londres ou de Paris: c’est la partie la plus pauvre, la plus populaire, la plus prolétarienne. C’est aller vers la rue Amherst, croiser dans ces rues aux plaques de ciment disjointes quelques désoeuvrés sortant du dépanneur, ou de la SAQ, deux bouteilles sous le bras (la SAQ = Société des Alcools du Québec), c’est finalement trouver un éco-musée, au croisement d’Ontario, juste en face du marché Saint-Jacques, joliment baptisé « du fier monde ». Le fier monde, c’est la classe ouvrière, les milieux populaires qui ont bataillé dans la misère en ces lieux, depuis la fin du XIXème siècle, où s’étaient construites les premières usines. Epoque où Montréal était la ville du monde la plus dangereuse, juste derrière Calcutta, en matière de mortalité infantile. Trois enfants sur cinq n’atteignaient pas l’âge de cinq ans. Cette misère dura tout au long de la première moitié du XXème siècle. L’habitat insalubre, le manque de tout-à-l’égout, de toilettes dignes de ce nom, condamnaient la population à subir l’effet de la propagation des bactéries. Après la guerre, les usines commencèrent à reculer, de grandes constructions déstructurèrent le quartier: la tour de Radio-Canada, l’UQAM (Université du Québec à Montréal)… et en même temps que les usines, disparaissaient les emplois. Les années récentes ont connu un regain de vie du quartier et surtout de solidarité autour d’associations actives. On se reprend à espérer alors… donc tout n’est pas vain. Il peut toujours resurgir ailleurs un peu de souffle, un peu de solidarité, de vitalité, d’amour?

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(années quarante dans le quartier Centre-Sud)

Mais depuis ces jours maussades, le temps s’est arrangé, le printemps est venu. La rue Sainte-Catherine est devenue partiellement piétonne, la place des arts s’anime. Ce 17 mai marque le début des festivités printanières et estivales, il est en même temps la journée internationale contre l’homophobie (banderole en travers de la rue Saint-Denis), journée qui, pour les Français, sera heureusement marquée par l’acceptation de la loi sur le « mariage pour tous » par le Conseil Constitutionnel (quelle belle rencontre de date… et merde à Christine Boutin). La musique et les spectacles sont dans la rue. Le musée du jazz mérite le détour: les grandes vedettes ont toutes légué quelque chose, un chapeau, une veste, une guitare, en souvenir de leur passage au grand festival de jazz de Montréal… Chacune de ces vedettes a son alvéole, avec possibilité de voir et écouter des vidéos de leurs performances. Ainsi Ray Charles, Miles Davis et Leonard Cohen. Quel beau tiercé… (pour moi les trois meilleurs) les deux premiers sont morts. Quand le troisième ne sera plus là, lui non plus, le moment sera peut-être venu de nous demander ce que nous faisons encore en ce monde…

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2 commentaires pour Retrouver Montréal

  1. lignesbleues dit :

    Eh bien il va falloir prendre grand soin de Léonard (;)

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  2. Merci pour cette belle plongée dans un Montréal avec son éco-musée du « fier-monde » (je repense au « Talon de fer » de Jack London), ses transformations, sa lutte contre l’homophobie – et merde aussi à Frigid Barjot ! – et cette note (bleue) finale sur le musée du jazz.

    Oui, Leonard Cohen est toujours vivant (mais les autres aussi par leurs œuvres), et l’art finalement survole tous les cataclysmes.

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