Transhumance en Helvétie

homePascal Eguisier et Carole Noblanc n’ont pas eu d’Oscar, ni même de César et n’en auront jamais. Pas plus d’ailleurs que l’âne Paulo. Pourtant, on aimerait bien un jour voir un âne, un vrai, monter sur scène pour recevoir une statuette dorée. Remarquez, avec quoi il la tiendrait, sa statuette ? Je suggère : avec les dents. C’est ça, avec les dents. Mais alors, il ne pourrait pas prononcer les messages de remerciements, à sa mère ânesse et à son père. Ah non. Remarquez, on s’en passerait volontiers. Bon, alors Paulo joue l’âne, un jeune âne, dans le film de Martin von Stürler, « Hiver nomade ». Excellent. Il n’est pourtant que remplaçant, le titulaire ayant eu le haut des sabots infectés au cours d’une longue marche au milieu des champs et des prés du canton de Vaud (Confédération Helvétique). Pascal Eguisier, berger, traîne son troupeau de huit cents moutons chaque fin d’automne, afin que les magnifiques bêtes se nourrissent des restes non glanés des moissons d’été, ce qui les nourrit très sainement et fait le gigot succulent aux alentours de Noël.  Ce Pascal (pour quelqu’un qui travaille dans l’agneau, c’est un beau prénom) exerce cette activité depuis trente deux ans, ayant été initié par des bergers bergamasques, lesquels sont les maîtres de la discipline. Quant à Carole Noblanc, elle est une jeune femme qui a tout quitté, sa vie planplan et son boulot routinier à Brest, pour cette vie par les chemins d’une Suisse austère et sauvage, une Suisse qu’on connaît mal car elle attire peu l’attention : nous sommes, hélas, tellement obnubilés par la Suisse des financiers et des « pipoles » … une Suisse qui existe, pourtant, en marge des autoroutes et des trains grande vitesse (qu’on voit aussi dans le film, surtout au début, comme les signes d’une modernité qui, peu à peu, s’estompent).

HIVERNOMADE-A6_WEB09Ce film est une extraordinaire bouffée d’air frais dans le paysage cinématographique contemporain. Sous la caméra de Martin von Stürler, éclate une vérité qui transcende les narrations banales, faites de suspenses convenus et d’explosions (de mines) attendues. Ainsi, l’âne Paulo marche à la nuit tombante en mâchouillant une brindille, il se dirige lentement vers la route. Nos habitudes de spectateur nous mettent en alerte : quelle connerie va-t-il commettre ? On se pince : on n’est pas à Hollywood, on est dans le réel. Donc, il ne va rien se passer. La séquence suivante montrera un matin qui se lève. Nos héros, Pascal et Carole s’ébrouent après une nuit sous tente, dans les couvertures chaudes et les peaux de bête, au milieu de leurs chiens, dont un tout petit, moins d’un an, qui voyage dans la vareuse de son maître. En chemin, nos transhumants rencontrent évidemment nos contemporains et co-urbains, jeune étudiante qui, dit-elle, ne sait même pas ce que ça veut dire, « transhumance », vieux amis chez qui ils font halte chaque année, le temps d’une douche et d’un bon repas, paysans suspicieux qui ne veulent pas de moutons sur leurs terres, parce qu’ils l’ont soigneusement cultivées pour nourrir leurs vaches, familles rurbaines qui offrent des truffes en chocolat. Un peuple varié et authentique, loin des caricatures faciles du « Bon » (ou du mauvais) Suisse. Le soir de Noël, festin. Carole a fait les courses à la Coop. Huîtres et foie gras sous la tente. La pluie tombe drue et la neige se transforme en cloaque. Mais qu’importe, les bergers progressent sous les frondaisons fumantes, lui se demandant encore si c’est sa dernière fois ou si l’an prochain, il reprendra son bâton, ses chiens, son chapeau de laine bouillie et sa cape de feutrine. Elle toujours ravie, les joues rouges, ayant accepté de se faire engueuler pour une fausse manœuvre, un moment d’inattention, un manque d’autorité sur les chiens, et dont on sent qu’elle est prête à repartir.

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4 commentaires pour Transhumance en Helvétie

  1. @alainlecomte : je n’ai pas vu ce film mais j’ai immanquablement pensé à l’admirable « Au hasard Balthasar » de Bresson, une sorte d’Ovni aussi, à l’époque, dans la production française.

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