Riga, pour une conférence sur la « Game Semantics »

Riga. Je me rends compte que je n’ai pas parlé de Riga. Riga ? Lettonie. Oui. Merci. La Lettonie ? juste en haut, enfin au milieu, au milieu des trois pays baltes. Plus au nord : l’Estonie, plus au sud : la Lithuanie. La Lettonie est le plus grand des trois. Remarquez sur la carte une belle baie, au fond de laquelle, justement , niche Riga, vieille ville hanséatique. Traversée par un ample fleuve – la Daugava –  qui va se jeter dans la Baltique. Les harengs de la Baltique… La ville, elle, rien de bien étrange. Ressemble à toutes ces villes du grand nord, avec leurs maisons dentelées, leurs pavés sonores et la chanson des carillons. Le cœur de la ville est particulièrement léché. Propre. Trop propre. On me dit qu’il y a quinze ans, c’était noir, sale, déglingué. Comme ces quelques maisons qui restent quelques rues plus loin sans doute, enfin, bien plus loin, dans les quartiers où les touristes ne vont jamais. Sauf quand ils doivent aller faire une déclaration à la police pour déclarer la perte (le vol ?) de leur portefeuille qui contenait plein de choses utiles, pour payer notamment, mais aussi une photo de moi avec ma petite fille sur les épaules quand elle avait deux ans, elle en a trois et demie aujourd’hui. Là, cette perte m’est utile : l’étudiant dévoué qui m’accompagne pour la traduction – le commissariat de police, rien à dire de particulier sur le commissariat de police, on est d’abord accueilli par une blonde gendarmette, puis pris en charge par des officiers de grade de plus en plus élevé : où cela vous est-il arrivé ? décrivez le contenu, euh… derrière cette porte blindée, des cellules peut-être ? une nouvelle altière gendarmette sort des locaux, elles sont pas mal en général les lettones – cet étudiant dévoué donc, m’emmène faire un tour, pas forcément du côté de ses amours mais du côté de sa jeunesse, quartier d’allure soviétique où il vécut enfant, époque brejnévienne où il n’y avait rien dans les magasins, mais où quand même (ah quand même il y avait quelque chose de bon ?) on pouvait le dimanche aller pique-niquer où on voulait dans les grandes forêts ou bien au bord de la Baltique, alors qu’aujourd’hui, l’espace s’est terriblement privatisé. Il m’emmène aussi vers les lieux du souvenir, cimetière aux tombes moussues sous les grands hêtres, monuments grandiloquents à la mère patrie (« mother Latvia »). Nous n’irons pas au musée de l’occupation… qui affiche clairement son point de vue sur l’histoire : elle va, l’occupation, de 1941 à 1991. Hitlérisme et stalinisme confondus. Cinquante ans de déportations. Extermination quasi-totale de la population juive. Troupes lettones incorporées dans l’armée nazie (contre leur gré ? avec leur gré ? on nous demande ne pas juger. Surtout ne jugez pas. Alors je ne jugerai pas). L’étudiant letton, lui, grand, maigre, à l’allure de fille, avec pourtant la pomme d’Adam qui joue l’ascenseur dans son cou décharné, en a tiré une philosophie : que sont nos problèmes d’aujourd’hui, dût-il y avoir la crise économique, comparés avec ce qu’ont connu nos parents en matière de déchirement ? Il a vu revenir son oncle d’un camp de Sibérie. Mais tout n’était pas si terrible. Il vivait dans un quartier de HLM où neuf enfants sur dix avaient le russe comme langue maternelle, alors lui, bien sûr, aussi parlait russe, il n’y avait pas grande différence entre les populations, russes ou lettones. Aujourd’hui, cela lui sert bien cette connaissance de la langue, car le grand voisin revient de temps en temps pour faire ses courses, c’est-à-dire trouver une main d’œuvre moins chère ou mieux qualifiée. Il me dit aussi qu’il a vécu dans un des immeubles Art Nouveau qui sont une des curiosités architecturales de Riga (où certains immeubles rappellent le Gaudi de Barcelone) jusqu’à la naissance de son premier enfant il y a cinq mois, mais ces immeubles, mal entretenus, fuient de partout, seuls deux étages sont habités : le rez-de-chaussée et le sixième et dernier étage. Pas facile quand on a un bébé (bien sûr pas d’ascenseur). Il me ramène à mon hôtel, près d’une cour pavée pleine de terrasses de bistrots où, sous un chaud soleil, des touristes à l’allure bavaroise (ils se gorgent de bière) se mêlent à une noce printanière. Ah ! Bierstube, magie allemande.

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6 commentaires pour Riga, pour une conférence sur la « Game Semantics »

  1. Jean-Marie dit :

    Franchement, à te lire, ça ne donne pas une grande envie d’y aller… mais c’est toujours aussi bien écrit !

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  2. JEA dit :

    nombre de lettons se sont en effet distingués en tant que bras armés et terriblement efficaces de la Shoah
    sans, à mon humble estime, pouvoir arguer d’excuses ?!?) telles une lutte commune avec les nazis contre l’URSS
    mais effectivement, s’il ne régna heureusement aucun génocide effaçant les Lettons de la planète, nombre de ces derniers assimilent leur sort à celui des persécutés raciaux juifs
    et prolongent leur raisonnement en maintenant une chape de plomb sur leurs comportements raciaux et de complices de crimes contre l’humanité

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  3. « La pomme d’Adam qui joue l’ascenseur dans son cou décharné » : belle image, et je regrette que la photo de ta fille ait ainsi été subtilisée…
    Rigatoni…, Italie ayant tremblé, mais les secousses ne sont pas allées jusqu’à l’Est : lettons it be.

    => Plaisir de lire cette excursion, même professionnelle.

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