Voyage en Thalys

Me voilà dans le Thalys pour présenter un travail à COCONAT : « Conference on Computing Natural Reasoning ». Les trains sont devenus, de gré ou de force, une partie de ma vie : j’en prends un au moins une fois par semaine en période universitaire et  j’y ajoute des excursus vers Londres (Eurostar) ou, aujourd’hui, Tilburg (NL). C’est toujours la même magie, facilitée par ces convois de grande vitesse mis au point dans les années quatre-vingt et qui nous propulsent dans le confort d’un salon vers notre destination finale. Les voyageurs râlent tout le temps, ils ont tort à mon avis. Imaginons ce qu’ont pu être les voyages semblables pour nos parents… je me souviens encore (j’étais vraiment petit) des locomotives BB (les plus rapides du monde à l’époque, déjà) qui tiraient les rapides entre Paris et Valence (donc sur la mythique ligne PLM) où j’allais voir ma « mémé ».  Combien de temps aux meilleurs moments, six heures ? plus peut-être. C’était l’époque de la joie (ou de l’horreur, c’est selon) des compartiments. Vous étiez contraints de voyager en vis-à-vis d’une personne dont vous ne saviez que faire du regard, l’affronter ou l’ignorer. Quand on en avait marre, on sortait dans le couloir. Adossé à la barre métallique, méditant sur « ne pas se pencher par la fenêtre » décliné en toutes les langues (« e pericoloso sporgersi »), on patientait. C’était l’époque où l’on fumait sans vergogne, et sans conscience des risques (je me souviens d’un long voyage au Portugal, pour un colloque déjà, en compagnie d’un voyageur qui enchaînait cigarette sur cigarette, un voyage de plus de vingt heures). Les passagers qui n’avaient pas eu l’idée de ou qui n’avaient pas pu réserver étaient souvent assis sur leur valise, en un coin du couloir, et plus vraisemblablement vers les toilettes, près de la sortie, ou de l’entrée, là où il était indiqué qu’il vallait mieux ne pas ouvrir la porte en dehors des gares. Aujourd’hui on voyage assis, heureusement, on ne sort plus du compartiment, on regarde par la fenêtre les ciels se charger de nuages gris, les villages-« force tranquille » se préciser puis s’estomper au loin, avec leur clocher qui pique ce ciel lourd pour en faire sortir le vilain crachin. La vitesse est telle que l’on paraît immobile. Il m’est arrivé de m’endormir Dans un demi-sommeil, je ne savais plus dans quel sens nous allions, étais-je dans le sens de la marche ou bien dans son contraire ? Le Thalys offre même la WiFi gratuite. Mon portable sonne quand nous arrivons en Belgique. Un peu plus d’une heure de trajet et nous sommes à Bruxelles Midi. Je suis rarement venu ici. C’est humide, c’est mouillé. En contrebas de la voie, on distingue la firme Philips, les maisons sont basses, les quais sont étonnamment déserts, on distingue au loin les ruines de l’Atomium, ce vestige de l’expo 58, hommage éternel à l’atome. Quand j’avais douze ans, moi et mes copains de banlieue, nous étions tellement ébahis par l’atome que nous avions créé un club « Pilote » (du nom du magazine pour enfants) qui s’appelait… « l’Atomic Club ». Nous étions sûrs d’un avenir de progrès où les problèmes du monde seraient résolus par la force de l’atome. Coup de sifflet… c’est bien la seule chose qui reste de l’ère antédiluvienne des premiers rapides électriques. Le train va repartir. Prochain arrêt où ? Je descends à « Rotterdam Centraal » et là il faudra que je prenne un billet pour où déjà ? ah oui, Tilburg. Je n’y suis jamais allé, il doit faire froid là-bas. Marrant, quand le train part, on voit du train une grosse tête de Tintin avec Milou au-dessus des éditions « Le Lombard ». Après, c’est un tunnel. On ressort près d’un immeuble DEXIA. La grisaille et la pluie noient les confins des rues transversales où déjà, à deux heures de l’après-midi, les voitures roulent tous phares allumés. L’homme chauve à lunettes oranges qui est en diagonale par rapport à moi lit « Le Figaro ». la page qu’il montre (et donc qu’il ne lit pas puisqu’elle est au revers de celle qu’il lit) dit que le boson de Higgs fait encore de la résistance. Je sais, je suis au courant, il faudra y remédier. Il ne faudrait quand même pas qu’il se mette en tête d’occuper Wall Street… On dit que le Thalys est plein d’espions, qu’il faut faire attention car lorsqu’on se connecte par Thalysnet (le nom du réseau WiFi), les informations que l’on a sur son portables ne sont pas protégées et peuvent être lues par des indiscrets. C’est pas grave. Ils peuvent toujours aller lire mes transparents de la conférence où je me rends, je n’en prendrai pas ombrage. Je veux bien même la leur expliquer s’ils ne la comprennent pas. Je constate tout à coup qu’il y a bien peu de femmes dans ce train. Le métier d’espion serait-il devenu exclusivement masculin. C’est vrai qu’une belle Mata-Hari dans le wagon attirerait trop les regards. Wonderful !, après le lunch gratuit (moi qui avais, en prévision, acheté un sandwich place Maubert tellement j’étais sûr qu’à l’instar du TGV, le Thalys allait proposer des prix prohibitifs pour la boustifaille et en plus des trucs dégueulasses, genre croque monsieur pâteux ou salade sans goût…), on croit en avoir fini des générosités ferroviaires, mais non, le steward passe encore… café, pâtisseries. N’en jetez plus. Je cale à la troisième.

Ce que j’ai toujours aimé dans les trains c’est qu’une simple vitre – certes solide, à l’abri des coups de fusil comme des grêlons – nous sépare d’une nature tourmentée, d’un extérieur parfois triste, voire même comme aujourd’hui noyé dans le chagrin. Le passager au chaud, étalant ses pieds au sec sous le siège de devant, se levant juste un coup, comme ça, juste histoire d’aller pisser, peut agiter dans sa petite tête ronde toutes sortes d’idées, des plus futiles au plus utiles, des plus superficielles au plus profondes. Il m’est arrivé ainsi de faire des découvertes, mais à moi seul accessibles. Ralentissement à Mechelem, commune sûrement flamande. J’ai lu récemment dans un article du Monde qu’on ne rigole pas en Belgique avec les langues et que s’exprimer en Français dans une commune flamande peut vous coûter cher… eh bien nous y sommes. Ne vous étonnez pas si ce que j’écris prend tout à coup des allures de flamand. C’est qu’on aura mis dans ce train, en plus des commodités de la WiFi et des tartelettes servies à votre place, quelque service de traduction instantanée et automatique… sait-on jamais ?  Ah. Voilà un coup de frein brutal . Les tasses en plastique glissent sur les tablettes rabattables. Ce qu’on voit au loin, ce doit être une grande ville. Gand peut-être. La Belgique, on connaît surtout par les coureurs et les courses cyclistes. On connaît Gand à cause de Gand- Wevelgem, une classique. Ne me demandez pas qui a gagné cette année, je ne suis plus autant assidu de ces choses-là. Je peux seulement dire que du temps de ma jeunesse, ce devait être Rik van Looy, puis plus tard Eddy Merckx. Non, ce n’est pas Gand, c’est Anvers. Antwerpen Centraal. Ça y est, la mer du Nord ne doit pas être loin. Dans une demi-heure, je serai dans le Grand Port, tête de pont des navires en route vers les mers australes, puis je repiquerai vers le sud, loin de la mer, au cœur de l’Europe (celle de Maastricht, bien sûr !). Je brandirai fièrement mes billets en euros en guise de bravade (ils avaient dit que l’euro risquait de ne plus exister avant Noêl). Je m’installerai dans un taxi et j’irai à l’hôtel « De Postelse Hoeven » pour attendre sagement jusqu’à demain, jour de la conférence…

Cet article, publié dans Voyages, est tagué , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

14 commentaires pour Voyage en Thalys

  1. Le train progresse… et ne fait jamais marche arrière : voir le lancement récent du « Thello » qui relie désormais Paris à Venise de nuit, première brèche dans le service public ferroviaire, après celle du fret. Mais ici les contrôleurs et les « hôtesses » sont habillés comme des stewards de compagnie aérienne et on a donné un coup de pinceau sur les wagons achetés d’occasion par le groupe privé, sans doute béni en cachette par Sarkozy.

    Je me souviens aussi des compartiments : mais dans un TGV, quand on se retrouve dans un « carré », on n’a pas non plus choisi ses vis-à-vis !

    Enfin, le train nous déplace dans le temps et dans la tête, et cela, nos petits stratèges financiers ne peuvent encore nous l’enlever, je vous en fiche mon billet.

    J’aime

  2. Alain.L dit :

    Merci Dominique… Maintenant que je suis arrive, c’est moins drôle!

    J’aime

  3. Jean-Marie dit :

    Tu as bien raison, les voyages en train, même ceux qui sont fréquents, sont des moments où le temps ne s’étale pas tout à fait de la même façon, moments où les paysages varient imperceptiblement, mais où, pendant un somme, le soleil disparaît, les toits passent de la tuile à l’ardoise, les champs se sont perdus dans la forêt… Et l’arrivée dans les villes, où le côté pile est visible avant le côté face, où le rêve et l’espoir sont encore permis…

    J’aime

  4. JEA dit :

    Certains affirment que les publicités à propos du Thalys sont mensongères, d’autres estiment que ce train porte bonheur ?!?

    J’aime

  5. lignes bleues dit :

    le train, inépuisable source de rêve et de réflexions, cocon qui ronronne et glisse dans un bruit de métal, des images qui défilent, des regards inconnus qui se croisent et ne reverront plus, etc. une conscience de la mesure du temps et de l’espace, et parallèlement à cela, la trivialité du ravitaillement, des lieux d’aisance, les retards, les règlements et les amendes, les annonces surréalistes, le progrès à l’envers (Paris-Rouen en Pacific 231, 55 minutes, aujourd’hui compter + 15 minutes quand tout va bien…)

    J’aime

  6. JEA dit :

    Pour éviter que des vessies ne deviennent des lanternes. Dans une seule commune de la plus ou moins périphérie de Bruxelles, la bourgmestre (maire) flamande demande que l’on dénonce les commerçants du cru qui s’exprimeraient en Français. Pour « inviter » ceux-ci à ne pas négliger le Néerlandais.
    Cette mesure sans base légale ne vise pas les touristes (ni les fonctionnaires français des communautés européennes) mais les habitants à temps plein d’une unique localité belge. Voilà une de ces mesquineries qui ponctuent la gueguerre linguistique à la Belge. De là, à monter en épingle à cravate journalistique ce non événement…
    Par contre, quand une ancienne miss Belgique, monte à la tribune du Sénat lors du débat parlementaire sur le nouveau gouvernement et s’écrie : « Le nouveau premier ministre est d’origine étrangère (Italien)… La Flandre crache sur ce gouvernement » (parce que les extrémistes flamingants en sont exclus), là on rigole moins. La démocratie est mise grossièrement en cause. Mais la presse étrangère l’ignore, c’est plus fondamental mais moins folklorique.

    J’aime

  7. Alain L dit :

    c’est bien, je vois que les trains – et la Belgique! – ça délie les langues. On a tous quelque chose à dire sur les trains, ils font tellement en effet travailler notre imaginaire, on a l’impression d’engloutir les paysages qui viennent à notre rencontre et qu’au passage ils nous lavent intérieurement. Quant à la Belgique… on souffre parfois pour elle, et pour les pauvres Belges mis à toutes les sauces… mais c’est comme la Suisse (que je connais mieux), on en parle en France quand il s’agit de donner des détails anecdotiques, mais guère à propos des questions politiques de fond. Récemment, il y a eu des élections très importantes pour la Suisse (où l’extrême droite s’est prise une gamelle), on n’en a pas beaucoup parlé de ce côté-ci des Alpes….

    J’aime

  8. JEA dit :

    La maire de Grimbergen vient de lever son hideusement grotesque appel à la délation linguistique…

    J’aime

  9. Alain L dit :

    Toujours cette horrible question linguistique. Les langues divisent, elles sont brandies comme des étendards, ceux qui les parlent sont convaincus de la supériorité de celle qu’ils parlent sur les autres. De chose magnifique quand il s’agit par exemple d’édifier une littérature, la langue peut devenir chose hideuse quand elle sert à instaurer une relation de pouvoir.

    J’aime

  10. michèle dit :

    Au cours de la conversation avec un russe, portier de nuit, dans un hôtel modeste a Genève, il voulait que je lui dise mon idée de la Russie ; a mon énoncé de Saint-Pétersbourg (comme pour Madrid c’est du musée que je rêve, ah y être enfermée trois jours et nuits durant, dormir avec les tableaux, couchée a leurs pieds), il s’est fâché presque, vous les français avec Saint-Pétersbourg !. Puis s’est repris, m’a dit a Moscou il vous faut un guide et d’abord apprendre a parler le russe.

    Rien de plus beau que d’apprendre a parler une langue étrangère : en faire un instrument de guerre est d’une grande inanité.

    Dans le train je dors, et vais y réveillonner sans doute, bercée par les rails…

    J’aime

  11. michèle dit :

    C’est fait ; colloque confidentiel, 17 personnes au plus gros de la journée avec en particulier une prof de Toulouse Mirail passionnante, et une journée riche en enseignements divers, vous deviez etre surbooké, je pense : -)

    J’aime

  12. michèle dit :

    vous avais tout envoye sur votre boite mail de paris huit, les infos et le reste
    voila,

    ce sera mon premier reveillon dans un train et je me rejouis fort

    J’aime

Laisser un commentaire