On badine avec l’amour, en Corée (du Sud)

 

Le titre, « Ha ! ha ! ha ! » sonne comme la dérision. C’est un agréable petit film en provenance du pays des matins calmes, dû au réalisateur Hong Sangsoo : deux amis se retrouvent autour de verres d’alcool de riz pour se raconter leur voyage, tous deux dans la même ville, Ton-Yung, port de la péninsule coréenne. Ils ne raconteront que leurs bons souvenirs, lesquels bien sûr ne peuvent être liés qu’à des rencontres amoureuses. C’est touchant et drôle les amours à la coréenne, ça ne ressemble pas tout à fait à ce dont nous avons l’habitude, les contacts sont parfois rudes et les transitions entre états d’âme brutales, on passe du rire aux larmes, des larmes au ridicule, du ridicule au mièvre et du mièvre au rire. Les couples se forment et se séparent. L’un des amis rencontre sa belle alors qu’elle exerce la fonction de guide pour un petit musée historique sur l’île de Hanson. Une question innocente d’un visiteur (« est-ce que vraiment l’amiral Yi a sauvé la Corée comme on le prétend ? ») la fait sortir de ses gonds, elle s’enflamme, exalte la vie pleine et l’héroïsme, l’ami est touché. Il la suit. Elle a un amant. Il ne se décourage pas. Ils se retrouvent, il l’emmène au restaurant, on croit que c’est dans la poche, mais elle préfère s’arrêter là. Lui insiste, la retrouve, elle l’injurie. Mais il insiste encore, ils se retrouvent et cette fois semble être la bonne. Ils s’aiment, se le disent, se promettent monts et merveilles, le mariage, le départ ensemble pour le Canada. Et puis non, finalement. Un souvenir, un chagrin, un regret. Tout est remis en cause. Pendant ce temps, l’autre, qui est marié, a une maîtresse. Ils s’aiment, n’ont pas le droit de le montrer. Elle en souffre, elle le traite de lâche. Il se décide à aller voir son oncle pour tout lui dire, mais avant cela… il vaut mieux boire un bon coup. Satané alcool de riz, quels ravages !

En Corée quand une femme décide de rompre, elle charge son ex sur son dos (enfin cette femme-là), quand une mère se montre les bras nus en public, ça choque le fils qui lui en fait le reproche, mais la mère se fâche, la mère fâchée demande à son fils de relever son pantalon pour lui infliger une bonne correction à coup de tue-mouches sur les mollets, ça lui apprendra, et lui, grand gaillard de trente ans, pleure comme un gamin. Voilà un film qui avance de surprise en surprise et qui nous fait, dans un premier geste naïf, nous interroger, « comment peut-on être coréen ? ». Mais plus sérieusement, qui se veut une exploration des apparences. A chaque instant, ce que nous croyons voir et comprendre s’expose à un démenti. La pellicule est un peu surexposée, quand la caméra s’échappe vers le décors, il y a toujours un peu trop de lumière, la mer est trop pâle. Comme si nous devions douter même de la réalité du monde extérieur. Que sont les choses sans la faculté de les nommer ? Ainsi cette fleur offerte par la femme à son jeune amant, existe-t-elle seulement, si elle n’est pas fichue de lui en donner le nom ? Plus que jamais, les signes ne sont réels que sous l’emprise d’un interprétant : celui-ci viendrait-il à manquer, que dirait le monde ? Rien.

Il pleut. L’air devient pur après la pluie. Dans le temple de l’île, quand on comprend que leur histoire n’ira pas plus loin, leurs propos se perdent, leurs corps deviennent tout petits, c’est une famille de touristes occidentaux qui occupe fugitivement tout l’écran. Comme si l’homme se détachait déjà, était déjà par anticipation au Canada, déjà loin de la femme qui le quitte. Film par moments drôle, par moments déconcertant, par moments kitch. Intéressant comme tout ce qui nous fait voyager hors de nous-mêmes. Et qui repose sur un principe d’or : et si, de tout ce que nous vivons, nous ne gardions que ce qu’il y a de bon ?

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3 commentaires pour On badine avec l’amour, en Corée (du Sud)

  1. En fait, c’est un peu « l’empire des signes » : mais là, pour Roland Barthes, c’était le Japon, dont il n’imaginait pas à quel genre de calligraphie il allait se trouver exposé en mars 2011.

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  2. lignes bleues dit :

    eh bien, cette note donne plutôt envie d’aller voir le film…

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