Le Tibet de Mélenchon

Il y a quelques temps, mourait une dame de talent, Claude B. Levenson. J’ai oublié à l’époque de lui rendre hommage. Je l’avais pourtant croisée au cours de mes activités pro-tibétaines : elle était venue nous rendre visite, à Grenoble, pour donner une conférence sur le Tibet dans un amphithéâtre de la Fac. Nous ne l’avions pas très bien reçue : les autres conférences de cette journée tibétaine avaient été… nulles ( !). J’avais souhaité un vrai débat, et un tel débat n’avait pas eu lieu, à vrai dire. Ce n’était pas de sa faute, mais plutôt de la mienne, qui n’avait pas su prévoir les bons intervenants. Enfin, bref, c’est du passé. Claude Levenson a consacré sa vie à la défense du Tibet. Et il est bien normal d’en parler en ce jour de commémoration de l’invasion chinoise et en ces temps de fermeture du lointain pays des neiges. Elle n’a cessé de publier des reportages sur ce pays, mêlés à des récits et romans qui le mettent en scène. Elle fut aussi biographe du Dalaï-Lama. Elle était la compagne d’un grand journaliste, collaborateur du « Monde », Jean-Claude Buhrer, qui, au cours de cette journée grenobloise, nous avait enchanté en nous parlant de la connaissance qu’il avait du monde balkanique. Lors des élections de 2002, le mouvement pro-tibétain ayant pris de l’ampleur, il avait été question de présenter un ou une candidat(e) pour porter en avant la revendication tibétaine. Elle aurait pu être cette candidate. Evidemment (heureusement ?), ce projet avait avorté. Il n’y avait bien sûr pas eu les signatures nécessaires.

(Tibet actuel et Tibet « historique »)

Pourquoi revenir sur elle et sur ces évènements ? Notamment à cause des propos de  « Méluche » sur Canal + l’autre jour, en réponse aux questions que lui posait le journaliste perfide – forcément perfide, aurait dit Duras – Jean-Michel Apathie. Il n’était en effet pas inopportun de demander au candidat du Front de Gauche de préciser ses idées concernant les liens Chavez – Khadafi, la situation du Tibet et son admiration pour Fidel Castro. C’est le deuxième point surtout qui m’a fait sursauter, quand j’ai entendu le pourfendeur des médias (au nom de « la vérité ») déclarer que la Chine était dans ses droits et que le Dalaï-Lama était un curé irresponsable qui revendiquait l’indépendance du Tibet historique (« est-ce que vous savez seulement où c’est, monsieur Apathie, le Tibet historique ? Non, i sait pas. C’est immense, le Tibet historique », bon, lui non plus il ne sait pas. Pour expliquer, le Tibet historique c’est le Tibet actuel, plus le Qinghai et le Sichuan, ainsi Chendu par exemple en ferait partie) et donc l’expulsion de cet immense territoire des centaines de millions de chinois qui s’y trouvent ! On ne peut qu’être atterré d’une telle contre-vérité. Depuis de très nombreuses années, le Dalaï-Lama ne se bat évidemment plus pour l’indépendance du Tibet (et encore moins celle du Qinghai et du Sichuan), mais pour son autonomie au sein du grand empire chinois. Son gouvernement en exil demande des pourparlers, qui ont vaguement lieu, mais sans jamais déboucher sur rien. Qu’est-ce qui est en jeu ? Le maintien d’une langue et d’une culture, des emplois pour les jeunes Tibétain(e)s (et pas seulement pour ceux qui acceptent d’abandonner leur culture), la possibilité pour chaque Tibétain de vivre selon ses propres valeurs culturelles (qui valent bien celles des autres), et surtout, surtout, le droit de ne pas être considéré comme citoyen de seconde zone dans son propre pays (accessoirement pour les femmes célibataires de ne pas être condamnées au dilemme « pute ou nonne »). Les Tibétains d’aujourd’hui sont dans la condition qu’ont pu connaître les Algériens musulmans au temps de la colonisation française, ni plus ni moins (ou les Arabes en Israël, si on veut). On a pour eux aussi des « villages de regroupements », ils doivent déserter le centre des villes, et sont surveillés dans leurs moindres déplacements. C’est ce que l’état chinois appelle leur apporter le confort de la civilisation.

Il y a quelques années, les propos de Mélenchon auraient déchaîné les militants de la cause tibétaine, Claude Levenson en tête sans doute. Aujourd’hui, le soufflé est un peu retombé. On peut l’expliquer par le découragement desdits militants. Que faire pour aider efficacement les Tibétains ? Aucune réponse n’a jamais été donnée à cette question. Certainement pas manifester dans les capitales européennes. Encore moins en Chine (la cause tibétaine apparaîtrait alors, ainsi que l’ont soutenu maintes fois les autorités chinoises, une cause « de l’étranger »). On ne peut qu’attendre. Rêvons d’un jour (peut-être pas si lointain) où le « vent démocratique » poussera jusqu’en Chine et où il apparaîtra tout à coup évident à tout le monde (comme il est apparu récemment que l’Egypte ou la Tunisie n’étaient pas vouées à la dictature) que le Tibet aussi… a droit à la démocratie (et la Chine aussi, du même coup).

(carte extraite du site http://www.linternaute.com/histoire/magazine/magazine/dossier/tibet/)

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8 commentaires pour Le Tibet de Mélenchon

  1. De la part d’un Mélenchon qui traite les journalistes d' »insectes » ou de « nuisibles », qu’attendre d’autre ?

    Par contre, dire « ne pas manifester dans les capitales européennes » (il suffit qu’une occasion se présente, comme lors des J.O. de Pékin), c’est baisser les bras et se contenter d' »attendre » passivement les « événements ».

    Même si on sait que la « révolution » vient des peuples eux-mêmes, ce qui n’empêche pas les encouragements avant, pendant ou après.

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    • Marc BABULLE dit :

      Mélenchon ferait mieux de se taire surtout à propos du Tibet, lorsqu’il déclare que le Tibet a toujours fait partie de la Chine ????? dans ses rêves peut-être,
      ce serait plutôt le contraire car la Chine fut sous administration mongole et tibétaine du temps de Kubilai ce que les Chinois n’ont jamais digéré, ils se sont attaqués à la Mongolie mais le grand voisin du nord veillait alors ils sont allés au sud envahir et annexer le Tibet qui était bien isolé à ce moment là,
      le Tibet fut un état libre et indépendant puisqu’il frappait sa monnaie et émettait ses timbres postes entre autres signes d’indépendance,
      le XIIIème Dalaï Lama déclara que la nuit viendrait pour le Tibet et qu’elle serait longue…..
      Tashi delek

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  2. Alain L. dit :

    merci du commentaire. Oui, un encouragement lointain n’est peut-être pas négligeable… encore faut-il qu’il vienne aux oreilles des principaux intéressés.

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  3. Jean-Marie dit :

    Beau billet, à la fois sur Mélenchon, dont la faconde cache souvent un certain mépris pour les règles démocratiques (mais dont le programme n’est pas tout à fait inintéressant…) et sur la situation entre le Tibet et la Chine.
    On vient d’apprendre ce matin que le Dalaï Lama vient de se démettre de ses fonctions politiques : cela pourrait-il permettre un début de dialogue avec les autorités chinoises ? Je n’y crois guère.
    La clé reste un (r)évolution du pouvoir de Pékin : il y a des soubresauts. Quand on voit combien la Chine est attentive sur le plan international à ce qui se passe dans les pays arabes, on voit bien que le pouvoir en place se sent concerné… mais pas encore cerné.

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  4. Serval dit :

    Ce qui est en route au Tibet, et probablement de manière encore plus avancé au Turkestan oriental, c’est la disparition pure et simple de la culture de ces deux peuples. L’afflux d’immigrants internes Han a pour but la dilution progressive des autochtones. Au Tibet, le Dalai-Lama actuel reste un point de repère pour la population, mais il est probable que le prochain sera choisi par Pékin, qui attend simplement que l’actuel meure. Les autorités chinoises ont le temps….
    Au cas où vous ne les connaîtriez pas, J’avais rendu compte il y a quelques mois de trois livres récents sur le sujet. « Le vol du paon mène à Lhassa » d’Élodie Bernard vaut en particulier la peine d’être lu.

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  5. michèle dit :

    Ce qui est intéressant c’est le fait qu’en Chine pour entrer au Tibet il y a blocage. Donc bien peu d’évolution vers la démocratie depuis 100 ans. Or depuis 150

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  6. michèle dit :

    désolée
    Or depuis 150 ans, il y a diffusion du bouddhisme en Occident qui ces vingt dernières années fait florès. Ben oui, plus les gens sont paumés plus ils ont besoin d’aide extérieure, de béquilles. Face au matérialisme, quelle plus belle alternative que le bouddhisme ?

    Or Bouddha est né six siècles avant le christ ; antériorité de cette religion sur la nôtre et découverte tardive pour nous.

    De plus les ressources minières du Tibet intéressent la Chine qui a envahi le Tibet il y a cinquante ans.

    Quand x dépouille y de ses biens c’est qu’il y trouve avantage. Toujours.

    Moi, résolument, je suis optimiste : d’abord parce que le Tibet a une aura pas prête de s’éteindre.
    Anecdote : parce qu’on nous a refusé des billets pour y aller (comme si le Tibet n’existait pas, était rayé de la carte) nous y sommes allées avec un autocar antique et brinquebalant en longeant le fleuve jaune dans des conditions inoubliables. Ensuite, nous sommes arrivées au monastère de Kumbun où A-D Neel a passé trois ans de sa vie. Au soir tombant, plus de visite pour les touristes mais les moines qui psalmodient des mantras. Puis un bâtiment au sein du monastère (avec patio intérieur et des balcons de bois) réservé aux vieux moines qui terminent leur vie là au milieu des jeunes moines et des moinillons, pas parqués dans des mouroirs.

    Ensuite parce que pour éliminer un peuple il ne suffit pas de le phagocyter.

    Enfin, la spiritualité du Tibet est ancrée.

    Je vous rappelle qu’un petit mec tout maigrichon sur la place Tian’anmen a suffi à arrêter un tank. Moment d’anthologie.

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