Inde : terre mère (Rossellini)

En 1957, Roberto Rossellini répondait à une invitation de Nehru pour faire une visite en Inde de plusieurs mois : il profita de ce voyage pour emmagasiner quelques-unes des plus belles images qui se puissent voir sur ce sublime continent. « Chaque image est belle, dira par la suite Godard, non parce qu’elle est belle en soi, mais parce qu’elle est la splendeur du vrai, et que Rossellini part de la vérité ». Le choc de la rencontre de l’Inde l’avait tellement ébranlé qu’à son retour, il se séparait de la belle Ingrid Bergman, pour se remarier avec la scénariste indienne (qui figure d’ailleurs au générique du film) Sonali Das Gupta. Le film vient de sortir en DVD, c’est évidemment un chef-d’œuvre. Certains se plaignent que le DVD soit fait à partir d’une copie en mauvais état : cela n’est pourtant pas gênant car ne fait qu’ajouter aux images cette patine, cette pâleur et ce léger tremblement qui les font ressentir comme encore plus précieuses. Elles nous viennent d’un temps lointain (plus de cinquante ans), d’avant l’Inde de la conquête spatiale et des géants industriels, mais d’un temps qui demeure pour tous ceux qui ont eu la chance de traverser la campagne indienne, oserais-je dire la campagne la plus belle du monde, quand les saris des paysannes rougeoient au soleil et que les longs fils blancs des tisserands font des stries blanches sur la végétation d’un vert profond.

Ce film énumère des chapitres en forme de nouvelles indépendantes les unes des autres, avec le fil conducteur des êtres rencontrés, aussi bien hommes ou femmes qu’animaux. Il dit la langueur et la douceur de l’âme indienne quand il s’étend sur l’harmonieuse complicité de l’homme et de l’éléphant, dans une séquence longue où le premier n’en finit pas de caresser, dorloter, choyer et nettoyer le second.

Il dit aussi la joie des fêtes – et la place en particulier du cirque, dont on sait à quel point il mobilise les foules indiennes – et la dureté du labeur dans cette belle séquence qui évoque la construction du barrage de Hirakud sur le fleuve Mahanadi parallèle au Gange. En visionnant ce film, on se prend à penser que Rossellini invente et développe une grammaire de l’image. Il faut en effet lire chaque séquence comme un grand signe élaboré de façon complexe à partir des gestes permis par la caméra, se tournant tantôt vers l’énigme d’un visage en gros plan, tantôt au contraire vers des paysages infinis où la terre se craquelle ou bien l’eau emplit l’espace, et tantôt vers le ciel, où les oiseaux et les chauves-souris apparaissent et disparaissent. Les animaux ont leur partition, comme les hommes et les femmes : le tigre qui rôde et n’attaque que lorsqu’il se sent menacé par les prospecteurs de minerais, le singe en deuil de son maître qui ne survivra que d’aller de captivité en captivité, où l’éléphant, bien sur, qui pour travailleur qu’il soit quand il est domestiqué, n’en revendique pas moins les horaires syndicaux ! Le film se termine comme il a commencé, rendant hommage aux foules en mouvement, aux machines – qui, elles aussi, ponctuent le propos, mais ce sont les machines du temps où elles n’étaient que des masses de travail potentiel prêtes à s’exercer au bénéfice des humains, et non comme aujourd’hui, ces puissances mystérieuses qui nous assujettissent –  et aux métiers.
De quoi donner l’envie de partir, toutes affaires cessantes, se lover au cœur de ce grand corps de l’Inde.

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4 commentaires pour Inde : terre mère (Rossellini)

  1. michèle dit :

    les couleurs…
    celles des teinturiers qui étendent leurs tissus sur les rochers plats au nord de Mumbai
    et Diwali la fête de la lumière
    et les enfants des rues qui brossent les chaussures
    et les conducteurs de rickshaw qui klaxonnent en conduisant à toute berzingue
    et les sadhus rattachés à une famille qui les entretient
    et le massage des bébés dès leur naissance

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  2. Je n’ai pas vu ce film mais j’ai été en Inde et pour capter l’essence, l’essentiel, le ciel et l’atmosphère de ce pays déroutant, dépaysant au sens fort, il faut être un grand cinéaste.

    Même si je me souviens de « L’Inde fantôme » de Louis Malle.

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  3. Il est restauré avec d’autres films de Rossellini et projeté au prochain festival de Venise ! (cf. Cahiers du Cinéma n°669 juillet-août)

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