La gauche se meurt madame, la gauche est-elle morte ?

Je m’y attendais à vrai dire depuis un certain temps, et puis les faits se sont accumulés, rendant la chose inévitable. Il y eut, entre autres, l’échec des grèves de l’automne. On aura beau dire, beau écrire, beau essayer de consoler les milieux populaires en leur disant : « mais non, vous n’avez pas tout perdu, c’est match nul, les électeurs se souviendront et Sarko paiera dans les urnes », on n’y croit guère. Les électeurs auront oublié d’ici là et ce qui s’affichera, sur le bloc-notes des réussites et des échecs, c’est que la droite est passée en force et qu’elle a réussi son coup, point. Et on ne saura même plus finalement quelles étaient les raisons de ce mouvement de protestation. La retraite, ah oui, la retraite. A 62 ans ? Mais dans les autres pays, c’est bien plus tard. Et puis, l’espérance de vie s’allonge. Le temps de travail aussi. Des vérités simples l’emporteront toujours. Essayez d’expliquer que, justement, actuellement, les gens aimeraient souvent partir à la retraite à 60 ans mais qu’en fait, pour causes diverses, de licenciement, de compression des effectifs, de vieillesse tout simplement, ils sont contraints de cesser leurs activités bien avant. Essayez d’expliquer que l’emploi des jeunes est déjà tellement réduit et qu’alors si on garde les vieux plus longtemps, il le sera encore plus, etc. etc. Tout cela s’avèrera vérité trop complexe. Des économistes savants vous diront d’ailleurs qu’il n’y a pas de corrélation entre l’allongement de la durée du travail et le chômage des jeunes. On se demande d’où ils tiennent cette certitude… Il ne semble pas qu’en France, cela soit vérifié, à cause en particulier du poids de la fonction publique : si un fonctionnaire s’en va, en principe un plus jeune devrait le remplacer. Certes, on n’en est pas là, puisqu’on envisage en haut lieu que la moitié des fonctionnaires ne soient pas remplacés (alors les hôpitaux, alors les écoles, alors la justice, alors la police… qui déjà fonctionnent si mal… que vont-ils devenir ?) . Mais le fait est que ce genre d’argument n’a pas fait recette : on a renvoyé les étudiants qui l’avançaient à leurs études.
Quel argument a fait recette, à vrai dire ? La droite voulait passer en force, elle y est parvenue (peu lui importait de n’avoir résolu en réalité aucun problème, même quand on se place de son point de vue), et la gauche n’est pas parvenue à faire déborder le débat du cadre étroit où il se trouvait enfermé (car au-delà du problème des retraites, il y avait, il y a, une réelle question de la répartition et de l’organisation du travail en France, notamment entre les « jeunes » et les « vieux »).
La gauche est morte, ou bien elle va mourir. Le meilleur scénario envisageable en 2012 est un duel au deuxième tour entre Sarko et Strauss-Kahn. La « gauche » soutiendra évidemment ce dernier, alors que… DSK, c’est pas vraiment la gauche, entre nous. Alors vous me direz : il faudrait que le PS choisisse un autre candidat, « plus à gauche ». Oui, mais dans ce cas, on est sûr que le candidat en question perdrait. Le gauchissement apparent du discours du PS ne doit pas nous tromper. Nous revivons avec le PS ce qu’on a toujours connu avec lui, et… avant lui, quand il s’appelait SFIO, l’effroyable décalage entre les discours et les actes. Sauf que maintenant, cette « tactique » ne fonctionne plus. D’une part, les gens ne sont pas dupes, et d’autre part ils ne sont plus sensibles à une rhétorique de gauche qui nous fit vibrer après avoir fait vibrer nos pères et nos grands-pères. Sur quelles valeurs était-elle fondée ? J’en vois quelques unes, claires et nettes : d’abord, la solidarité, par-delà toutes les différences de couleur de peau, d’ethnie et de religion, une solidarité qui opère au sein du territoire national mais qui a vocation à s’étendre à l’international. Ensuite le désir si ce n’est d’abolir (ne rêvons pas trop…) en tout cas de réduire les différences de classe.
Pour ce qui est de la première de ces valeurs, je prétends qu’aujourd’hui elle est bien mal en point et que le déficit en la matière est une cause probable de la mort de la gauche.
On a dit (et c’est vraisemblable) que l’une des causes de la défaite de Jospin en 2002 était que le gouvernement d’alors avait trop mis l’accent sur les mesures sociales en faveur des plus pauvres (CMU etc.). Les classes juste un peu moins pauvres se seraient en quelque sorte révolté : « et pourquoi pas moi ? »… de ce « et pourquoi pas moi ? » qui résonne dans les services, les administrations, les centres sociaux chaque fois que des allocations ou des indemnités sont accordées aux plus pauvres, ou, simplement, aux personnes « qui se trouvent y avoir droit ». Je lis (« Le Monde » du 21/12, article de Virginie Malingre) qu’en Angleterre, le pourcentage des gens favorables à davantage d’aide sociale s’est effondré (il n’est plus que de 27%, contre 58% en 1991) et qu’une (courte) majorité finit par rendre responsables les pauvres eux-mêmes de leur pauvreté (un rapport dit que les personnes sondées « fustigent leur paresse » !). « Les pauvres nous agacent » : voici le refrain qu’on risque d’entendre demain à tous les coins de rue quand il s’avèrera que, décidément, tout peut être dit impunément. Dans tous les pays d’Europe, les valeurs de solidarité s’estompent en faveur des replis nationalistes et identitaires. Il est certes démodé de parler de « races », alors on parle de religion : il n’est pas répréhensible selon la loi de s’attaquer aux pratiquants d’une religion, cela en plus, peut passer pour un gage de « progressisme », et même… de « républicanisme », alors allons-y, traquons la burqa et faisons sentir sans arrêt à « tous ces gens-là » qu’ils ne sont pas chez eux. La République a bon dos, comme la laïcité d’ailleurs. Le rejet de l’autre devient le signe de ralliement des démocraties occidentales : même en Finlande (d’après encore un article du « Monde » du 21/12), oui, dans la paisible Finlande, si souvent montrée en exemple, pour son système social harmonieux et ses écoles performantes, un parti s’intitule (ça ne s’invente pas) : « Parti des Vrais Finlandais », et il pointe déjà à plus de 15% de l’électorat. Son terreau ? le rejet des sept mille pauvres somaliens qui ont été accueillis un jour de générosité par un gouvernement social démocrate, et qui sont accusés de tous les maux.
En Italie, l’opprobre et le ridicule disqualifient Berlusconi et pourtant… aucun commentateur ne se risquerait à pronostiquer une victoire de la gauche (ou simplement de l’opposition) en cas d’élections anticipées. La popularité de Berlusconi en dépit de ses frasques s’expliquerait par l’impopularité tenace de la gauche.
L’individualisme forcené de ceux qui ont atteint un minimum de richesse et de statut social, principalement en Europe, est la première cause d’un tel désaveu.
Quant à la deuxième valeur, qui va de pair avec un certain esprit d’égalitarisme, son poids se réduit d’année en année et il y a peu de chance d’assister à une remontée. S’il est peu réaliste d’envisager une société « égalitaire », du genre de la société communiste dont parlait Marx, où il serait accordé à chacun selon ses besoins, en revanche, une belle idée a pu germer autrefois, celle d’une égalité sur la durée, par le biais de l’ascension sociale. Or, pour fonctionner, celle-ci suppose plusieurs choses : d’abord un système éducatif qui fonctionne normalement de manière à corriger les inégalités de départ, et ensuite l’intériorisation de l’idée que pour qu’il y en ait qui montent dans l’échelle sociale, il faut qu’il y en ait… qui descendent, c’est-à-dire qui laissent la place !
Le système éducatif ? n’en parlons pas… il s’enfonce et ne sert de plus en plus qu’à reproduire les inégalités sociales (ce ne sont pas les résultats de l’enquête PISA qui me contrediront). Quant à la deuxième condition, autant en faire son deuil tant les stratégies des familles nanties sont tout entières axées sur le seul but de ne pas faire décrocher leurs rejetons des places qu’elles estiment avoir conquises de haute lutte.
On ne peut qu’enrager, en conséquence, face au discours tellement partagé entre une certaine  « gauche » et la droite visant à fustiger ceux et celles de nos concitoyens qui ne feraient pas suffisamment preuve de volonté d’intégration.
Intégration à quoi ? Lorsque vous avez pris les bonnes places, et que coûte que coûte, vous faites tout pour que vous ou vos descendants s’y accrochent, à quelles places souhaitez vous que s’intègrent ceux et celles qui n’ont pas eu la chance d’être là au moment du partage ? Pensez-vous que les places restantes vaillent la peine qu’on se batte pour elles ? Ne pensez-vous pas alors que, hélas, le repli communautaire ne puisse être envisagé comme solution ? Ne pensez-vous pas que fustiger un tel repli est pratiquer une forme de double peine à grande échelle ? Question subsidiaire : n’est-ce pas une forme de repli communautaire que se cramponner dans une attitude de défense des avantages acquis qui s’arrange volontiers de  l’exclusion d’une frange toujours croissante de la population ?
La gauche ne peut exister (je ne dis même pas « gagner » car je pense que pour « gagner » il faut d’abord « exister ») que si elle parvient à convaincre qu’elle continue de défendre ces valeurs de solidarité et d’égalité, mais hélas, la conjoncture fait qu’une telle défense est loin de garantir le succès…

illustration: Georges Grosz, « les automates républicains », cf ce blog

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9 commentaires pour La gauche se meurt madame, la gauche est-elle morte ?

  1. Cet article me semble bien pessimiste et démobilisateur.

    La mémoire (ouvrière ou pas) ne se laissse pas aussi vite enfoncer que cela. Nombre de pancartes de manifestants, lors des cortèges pas minces contre la réforme des retraites, affirmaient que l’on saurait s’en souvenir en 2012.

    C’est justement à la gauche qu’il revient de ne pas oublier cet élan contre les injustices, quelles qu’elle soient.

    L’exemple anglais ? On peut s’attendre à autre chose ? Même si les étudiants ont magnifiquement montré leur opposition à l’augmentation aberrante des droits d’inscription en fac.

    DSK n’a pas vraiment une image très à gauche, c’est un fait. Aubry ? Mais il faudra bien choisir… ou sinon, on s’abstient et après on pourra toujours clamer : « Tous pourris ! »

    Solidarité (Walesa, reviens !), réduire les différences de classes : oui, tout cela peut être mis en oeuvre par une politique qui ne soit pas celle, actuelle, au service des possédants et des patrons du Cac 40. Ce n’est donc pas le moment de croiser les bras et de laisser le champ libre à l’extrême droite : le rôle de la gauche est aussi d’y veiller et non d’écouter les sirènes désabusées, ici ou là, sous prétexte de lucidité.

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    • alainlecomte dit :

      Pessimiste? oui. Démobilisateur? pas forcément… Au contraire, un constat essayant d’être un peu lucide peut aider à donner un coup de fouet nécessaire… je ne dis pas qu’il ne faut rien faire, je dis plutôt qu’il faut avoir conscience des obstacles et que, sinon, on s’enferre dans les illusions génératrices de frustration. Mais pessimiste, ça oui… il y aurait tant à faire pour « remonter la pente » et aller à l’encontre des égoïsmes sociaux….

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  2. Jean-Marie dit :

    Oui, ce billet est pessimiste, c’est d’ailleurs une des choses les mieux partagées en France, paraît-il.
    Démobilisateur, certainement pas. Mais il est indispensables de démolir quelques vaches sacrées qui ankylosent l’esprit et paralysent l’imagination. N’en déplaise à une bonne partie de la gauche – et à Stéphane Hessel – faut-il croire aux lunes déjà froides de la défense des institutions, maintenant vermoulues, issues de la Résistance : elles datent de plus de 60 ans, et ont été créées dans un contexte moral propre à la fin de la guerre et dans un contexte international où les autres pays que l’occident n’étaient guère que des colonies, et certainement pas encore des puissances.
    Pour mobiliser, il faut un énorme effort de lucidité (oui Dominique, lucidité ! ):
    – lucidité politique : les Français soutiennent les grévistes mais votent majoritairement à droite sauf quand un homme de gauche (enfin, plus ou moins …) comme Mitterand a su déborder son propre camp,
    – lucidité économique : nous sommes en plein milieu d’un mouvement tectonique qui touche les puissances économiques ; le rapport de domination échappe maintenant aux Occidentaux (Américains compris) pour se retrouver dans les pays que l’on appelle encore émergents mais qui devraient être qualifiés d’imposants ; ce qui a plus ou moins bien fonctionné durant les décennies précédentes ne sera pas efficace dans les années à venir,
    – lucidité idéologique : la période actuelle étant porteuse de l’expansion d’idéologies racistes, populistes et xénophobes, les valeurs de solidarité et d’égalité doivent être plus que jamais brandies, mais certainement pas sous la forme de la « défense des avantages acquis », machine à générer la frustration et l’injustice .
    La liste, celle des lucidités, n’est pas close …

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    • alainlecomte dit :

      Je suis d’accord avec toi, Jean-Marie. Si je n’avais craint de faire un billet trop long, j’aurais en effet ajouté un paragraphe sur les illusions liées à la défense des programmes anciens (tels le programme du CNR devenu curieusement très à la mode cette année) qui, comme tu le dis, ont été élaborés dans un contexte très différent. En particulier, on oublie souvent (et la gauche la première) qu’une relative aisance s’accompagnant d’une redistribution non moins relative a existé sur le dos d’un empire colonial: celui-ci rapportait à la puissance coloniale et, surtout, tout était fait pour qu’il ne lui fasse pas d’ombre. Cela est bien changé aujourd’hui, où les anciennes colonies deviennent de redoutables concurrents. Dans mon billet, j’ai suggéré cela au travers de l’idée d’une solidarité qui a vocation à s’élargir au niveau international: comment se satisfaire en effet d’une prospérité qui serait limitée à une petite partie de la planète, comme cela a été relativement le cas par le passé? Comme le dit le sociologue Louis Chauvel dans « Le Monde » daté du 4 janvier, il reste à la gauche à chercher à développer des droits nouveaux, ceux de demain, plutôt qu’à se cramponner sur des droits acquis.

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      • Jean-Marie dit :

        L’article de Louis Chauvel montre qu’il y encore des gens qui réfléchissent au-delà des réflexes du prêt-à-porter idéologique, de droite comme de gauche. Par exemple, cette phrase qui résume l’inanité du débat passé sur les retraites :
        « La réforme des retraites aurait pu être un moment propice à l’analyse des années 2030, mais la confrontation, nécessaire, ne fut que celle des postures convenues de notre régime : la droite gouvernementale protège les retraités d’aujourd’hui, son coeur électoral, et sacrifie ceux de demain ; les syndicats et la gauche exigent quant à eux de reporter la charge sur les jeunes actifs, ces grands absents des débats politiques. »
        Cet article pourrait être une des bases sur lesquels pourrait s’appuyer la réflexion pour élaborer un programme pour les élections de 2012. Mais, pendant ce temps-là, on s’étripe sur les 35 heures …

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  3. lignes bleues dit :

    vos note et commentaires m’ont trotté dans la tête hier toute la journée : preuve que certain(es) ont besoins de ce genre de choses pour ne pas sombrer dans le renoncement.

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  4. K. dit :

    Je suis partagée sur votre commentaire concernant le communautarisme ou ce que l’on désigne en général par ce terme pour fustiger un repli identitaire sur une communauté. Réflexe de protection? Sans doute. Reste que ce repli ne protège pas. Et qu’au sein de la communauté d’autres violences sont tenues bien au chaud. Mais je partage l’idée générale que le système se satisfait des inégalités pour garantir la place des plus socialement et économiquement pourvus, générant par là même la necessité pour ceux qui ne le sont pas, de développer des formes d’organisation parallèles au sein desquelles ils trouvent une place. A côté. Dedans. Dedans et à côté. On démantèle l’école, oui, celle de tous les enfants de la république. Celle qui croît en la citoyenneté, en la curiosité, en la culture comme levier de promotion sociale. C’est frontal (suppressions de postes, réformes insuffisamment pensées, destruction de la formation) mas aussi beaucoup plus pernicieux, en imposant des représentations mentales et des modes de vie qui sapent tous fondements possibles pour un projet alternatif ambitieux, lesté de valeurs émancipatrices et collectives. Oui, les milieux populaires sont touchés de plein fouet par un système qui accroît les inégalités, c’est particulièrement vrai pour le système scolaire hélas. Mais la seule réponse des acteurs de l’école est malheureusement tellement inadaptée. Refus, mobilisation, statut quo? Quand il faudrait aussi prendre le temps de proposer, d’inventer, daccepter de changer aussi, de travailler autrement, en permettant l’attention aux individus, aux personnes, dans un projet éducatif pour tous. Changer l’école pour changer la société, vous vous souvenez? utopiste?
    Alors, je partage, la lucidité de votre billet. « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » disait René Char. On peut fermer les yeux bien sûr. On peut aussi choisir de regarder ce qui fait mal et trouver des protections. Un projet politique, éducatif, social, fondé sur une vraie réflexion globale. Quelle société voulons nous? Quelles perspectives de vie pour nos enfants? Comment conjuguer les intérêts individuels et le projet collectif ? Et tant d’autres questions que les partis politiques ne rendent plus lisibles, tant ils semblent traversés par des logiques internes autres qui les minent. Et puis, chacun, à son échelle, là où il se trouve, on peut travailler à ouvrir des voies, à tisser des liens, à oser s’engager sur des chemins inconnus aussi…Hé!ce n’est peut être pas si inutile d’être un peu lucide parfois, voyez, ça décoince la parole,et c’est déjà tellement plus positif que d’avancer mécaiquement, le nez dans le guidon…alors, après l’indignation, on se met au travail, d’ac?

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    • alainlecomte dit :

      Je suis bien sûr d’accord avec vous. Les attaques incessantes, le harcèlement contre les services publics, la fonction publique etc. (encore récemment ces propos bêtes, simplement bêtes, proférés par un certain Christian Jacob), les postes supprimés etc. Il n’est pas étonnant que face à toutes ces attaques, ceux qui les subissent aient le réflexe de se renfermer, comment leur demander d’être ouverts au changement et à la réflexion quand en général ce genre d’injonction cache une menace à leur égard?
      Se mettre au travail… oui, mais comment? Vous avez des idées? Je suis d’accord en tout cas qu’il ne suffit pas de « s’indigner », et que même… « s’indigner » est une attitude assez confortable! ça ne mange pas de pain…

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