On m’avait demandé pour le soir de Noël de trouver un conte à lire. A vrai dire, je n’avais pas ça en magasin, mais je me suis dit que je pouvais trouver juste une petite nouvelle à adapter. Et mon choix s’est porté sur une nouvelle extraite de « Saules aveugles, femme endormie », un recueil de Haruki Murakami, le maître japonais du genre et, je dois dire, l’un de mes écrivains préférés. Cela peut surprendre, je sais. Mais à une époque où je ne lisais plus guère que des choses sérieuses, ma découverte de la « Chronique de l’oiseau à ressort » m’avait complètement réconcilié avec le genre « roman ». Je n’avais jamais vu, me semblait-il, tant de fantaisie dans une œuvre littéraire, amenée surtout avec autant de naturel, comme si le plus quotidien des faits divers, la disparition d’un chat ou la perte de ses clés pouvaient ouvrir sur une épopée sans fin, traversée par de grands vents, souvent même ceux de l’Histoire (les scènes de guerre en Mandchourie, dans ce roman, sont parmi les plus stupéfiantes qu’on ait jamais écrites). Enfin bref, la petite nouvelle que j’ai choisie condense en quelques pages une bonne partie de l’univers murakamien : la nostalgie d’une pureté de la jeunesse perdue, la fixation sur une partie du corps des jeunes filles (en général le lobe de l’oreille gauche), des hôtels aux couloirs mystérieux (voir aussi « La course au mouton sauvage »), des vieillards extrêmement bienveillants avec la peau toute fripée et une douce atmosphère, comment dire… juste un peu alcoolisée, comme celles des veillées, justement, qui s’éternisent et où, la fatigue aidant, on en vient à s’épancher un peu plus que d’habitude.
Dans cette nouvelle, un garçon, le narrateur, s’entretient avec une amie. Ils parlent de leurs vingt ans, de la façon dont ils ont fêté leur anniversaire, et la fille a une histoire tout à fait extraordinaire à raconter. Elle travaillait alors comme serveuse dans un restaurant italien chic de Roppongi, et elle n’avait pas pu ce jour là se libérer, d’ailleurs quand bien même se serait-elle libérée… elle n’aurait su quoi faire de ce temps. Au-dessus du restaurant, il y avait un hôtel et dans cet hôtel, une chambre, la 604, où vivait le propriétaire, que personne n’avait jamais vu, sauf le directeur du restaurant qui, chaque jour, à 20h précises, lui montait son repas. Seulement voilà, ce jour-là, le directeur eut un malaise et il fallut le transporter à l’hôpital. Avant de partir il demanda donc à la jeune fille exceptionnellement de monter le repas, et timidement, l’heure fatidique venue (on croirait vraiment un conte de fée), elle s’aventura à l’étage. Le propriétaire était un vieillard minuscule et très ridé qui n’avait pas l’habitude de rencontrer des jeunes filles. Lui demandant son âge, il apprend que c’est son anniversaire et aussitôt se propose de lui offrir un cadeau. Gênée, elle va pour refuser, mais il lui promet qu’il s’agit d’un cadeau immatériel, que, simplement il exaucera son souhait, si elle en a un à formuler. Je passe sur les détails. La fille fait un vœu. Le propriétaire lui dit qu’il est exaucé. Elle ne le reverra plus jamais. Dix ans plus tard, elle raconte cette histoire et le narrateur est surpris, il voudrait connaître la teneur du vœu, savoir si elle a regretté son vœu, s’il a bien été exaucé etc. seulement voilà, un vœu doit rester secret toute sa vie.
Première étape du dénouement : elle a aujourd’hui une existence bien banale, mariée, trois enfants, voiture confortable… il n’y a donc rien eu d’extraordinaire, c’est que « dit-elle – doucement en se grattant le lobe de son oreille – un lobe à la très jolie forme – quoi qu’on puisse souhaiter, aussi loin qu’on puisse aller, on reste ce que l’on est ».
Mais ce n’est pas tout, deuxième temps du dénouement :
« Dis-moi. Si tu avais été à ma place, quel aurait été ton vœu ?
– le soir de mes vingt ans, tu veux dire ?
– oui. »
Je tentai de réfléchir à la question sérieusement. Aucun souhait ne me vint à l’esprit.
« je ne sais pas, avouai-je honnêtement. Mes vingt ans sont trop éloignés maintenant.
– Vraiment tu ne peux pas ? »
Je confirmai avec un signe de la tête.
– « Alors, tu n’as pas un seul vœu à formuler ?
– – Non, pas un seul. »
Elle me regarda de nouveau dans les yeux. C’était un regard d’une franchise totale.
« C’est parce que tu l’as déjà réalisé. »
Peut-être ce conte aura-t-il plu à mon auditoire. On peut toujours se demander en effet si, quelqu’ait été notre existence jusqu’à maintenant, elle ne s’est pas accomplie selon nos vœux les plus secrets…
A l’époque des voeux, celui-ci peut aussi servir, tellement il est juste.
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être ce qu’on est : précieuse coïncidence et pas si facile que cela
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et cette citation du cafardcosmique.com : Murakami(…) » écrit à la frange du fantastique des récits empreints d’humour et de mélancolie, dont on sort étrangement étranger à soi-même ».
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Faut-il pour cela un vieillard minuscule et tout ridé?
Il n’y a que l’embarras du choix, tout autour de nous.
Faut-il aussi saisir la tourterelle dans une aile déployée?
En tout cas, il faut croire aux contes.
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«C’est quoi la révolution ? Cela change seulement le nom de la mairie.»
C’est d’Haruki Muramaki dans « La Ballade de l’impossible ».
La révolution n’est-elle qu’un conte dont les voeux ne se réalisent jamais ?
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oh la la… la révolution… on n’y croit plus trop, non? ou alors dans son sens propre, celui d’un tour complet… avant de revenir au point de départ…
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avais stocké, dieu sait pourquoi, seul, un Murakami dans un coin de la bibli du lit ; l’ai saisi ; m’a happée ; violent et fascinant ; Kafka sur le rivage.
Il m’a envoûtée.
En ai depuis acheté trois autres.
C’est une découverte littéraire.
Merci Alain L.
ai traversé avec lui le passage à l’an.
En mangeant une soupe de légumes ; à des années-lumières de mon ordi.
C’était bien.
Vraiment.
cordialement à vous, votre épouse, vos potes bloggeurs.
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oui, juste, j’ai aimé l’onirisme de son récit et sa justesse concernant les femmes ; cela m’a éblouie.
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Michele… vous avez GAGNE! Quoi? un abonnement gratuit à « rumeur d’espace » (quelle chance!). Pourquoi? Vous êtes l’auteure du 100ème commentaire sur ce nouveau blog! 🙂 Merci de votre fidélité!
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non
non non
j’ai gagné un truc
j’adore çà
(euh j’ai aussi gagné Murakami, et ça franchement, quelle découverte !).
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