Qu’est ce que le temps? Qu’est-ce que l’espace?

51z2a9djpcl_sl500_aa300_.1291370128.jpgLe physicien italien Carlo Rovelli , spécialiste de la gravitation quantique, a écrit un très réjouissant petit livre, simple et direct, qui s’intitule « Qu’est-ce que le temps ? Qu’est-ce que l’espace ? » (Che cos’è il tempo ? Che cos’è lo spazio ?). Le sujet est a priori très difficile, or, comme l’indique l’auteur de la préface, un tel livre peut être lu et compris par un gamin de quinze ans un peu curieux. Expliquer rien moins que la gravitation quantique à boucles…
D’abord, livre ô combien sympathique, l’auteur commence par nous dire ce qui l’a amené là. Comment un jeune rebelle et rêveur, que le monde autour de lui révolte, se décide à s’adonner à l’activité scientifique, tout simplement parce que « la science a été pour [lui] un compromis qui [lui] permettait de ne pas renoncer à [son] désir de changement et d’aventure, de maintenir [sa] liberté de penser et d’être qui [il est] ». Carlo Rovelli entreprend des études universitaires de physique à Bologne dans les années soixante-dix. Dès la troisième année il rencontre les grandes théories contemporaines, la relativité, les quantas. En quatrième année, il met son nez dans un article qu’il ne comprend pas très bien, mais qui va lui donner la clé de ce qu’il va faire, c’est un article d’un certain Chris Isham dans lequel il est question de gravitation quantique.
On sait que deux grandes théories se partagent l’explication du monde physique depuis environ un siècle : la théorie de la relativité générale d’un côté, applicable aux objets cosmiques, et proposant une explication à la force de gravitation, et la théorie quantique de l’autre, applicable à l’infiniment petit (de l’ordre de 10 puissance -33cm). Dans leur domaine, elles sont indiscutées et il peut sembler à première vue rare qu’elles se confrontent. Rare mais pourtant pas impossible. Or, ce qui est fâcheux, c’est qu’elles ne sont pas compatibles. Si donc on trouve un domaine où on aurait besoin des deux, on va se retrouver dans une situation impossible. Ce genre de domaine existe, il surgit par exemple quand on veut étudier les tout premiers instants après le Big Bang. Il faut donc trouver une manière de penser les deux ensemble. Dans « gravitation quantique », il y a bien sûr les deux opposés. Cette expression peut donc sembler un oxymoron. Or, il y a des solutions pour arriver à mettre ensemble ces deux ordres de phénomènes.
La première image que Rovelli offre à notre réflexion, c’est celle du champ électromagnétique, découvert d’abord par Faraday, puis mis en équations par Maxwell. Un champ est une sorte d’entité diffuse qui occupe tout l’espace. Si on introduit une charge positive et une charge négative, vont apparaître des lignes de champ qui relient les + aux -. Ces lignes sont dans tout l’espace, ce sont les solutions des équations dites de Maxwell. Enlevez les deux charges…. Les lignes en question existent toujours mais se referment sur elles-mêmes, elles forment ainsi des boucles.
De son côté, Einstein découvre (Relativité Générale) que la force de gravitation découle elle aussi d’un champ, mais un champ dit « gravitationnel ». D’une certaine manière, on peut dire que si les objets s’attirent, ce n’est pas en vertu d’une force magique à la Newton, mais en vertu d’une certaine géométrie de lignes de force dans l’espace. « Dans l’espace » ? Et bien voilà ce que justement ce qu’Einstein conteste. C’est une représentation courante et bien commode (alors qu’elle ne s’est pas imposée si simplement dans l’histoire) que de voir l’espace comme un grand « contenant », une grosse boîte contenant ondes et particules. Or, Einstein conteste cette représentation. Et si, après tout, le champ gravitationnel, au lieu d’être dans l’espace, n’était pas tout bonnement lui-même l’espace ? En fin de compte, le champ électromagnétique est un champ… sur le dos d’un autre, au lieu d’être un ensemble de lignes de force « dans l’espace ». Ceci change tout.
Si on s’intéresse maintenant à la théorie quantique, on se mettra dans la tête qu’au niveau microscopique où l’on se situe, comme l’a montré Max Planck, les variations diverses (de vitesse, d’énergie etc.) ne se font pas de manière continue, mais par sauts. L’énergie d’une particule chargée donne par exemple lieu à un spectre de quantités discrètes, on passe de l’une à l’autre par discontinuité. Cela se traduit au niveau du champ électromagnétique par le fait que la lumière est composée de photons (au niveau quantique, le champ électromagnétique « se brise » en unités discrètes) . L’idée de Rovelli est que ce qui est vrai pour le champ électromagnétique pourrait l’être aussi pour le champ gravitationnel, d’autant que ce dernier possède aussi ses équations (celles de Wheeler – De Witt). Le champ gravitationnel, en quoi nous avons vu que l’espace se réduisait, se composerait-il donc de « grains », comme c’est le cas de la lumière ? On retrouve alors Faraday et ses boucles : pourquoi n’y aurait-il pas aussi des boucles dans le champ gravitationnel ?
Mais à la différence du champ de Faraday, les lignes en question, qui forment les fameuses boucles, ne constituent pas un continuum (situation où on passe continuement d’une ligne à l’autre). A cause de la théorie des quantas, chaque ligne peut être individuée et on passe de l’une à l’autre par un saut. Si le champ électromagnétique se brise en photons, le champ gravitationnel se brise en lignes de champ séparées les unes des autres. De la même façon que, dans le premier champ, l’introduction d’une charge ouvrait aussitôt la boucle pour donner les fameuses lignes que tout écolier a vu matérialisées grâce à la limaille de fer, dans le second, c’est l’introduction d’une masse quelconque qui ouvre la boucle. Mais indépendamment de cela, chaque boucle représente, comme le dit Rovelli, « un univers consistant en un mince filament d’espace » et rien d’autre ». Pour représenter notre monde, il suffit de superposer un grand nombre de solutions constituées d’une seule boucle chacune. On obtient alors un tissus formé d’un nombre FINI de boucles car, contrairement au champ classique, où les lignes sont en nombre infini, on peut COMPTER le nombre de boucles dans le champ gravitationnel quantique ! Là encore, est-ce que ces boucles sont dans l’espace ? On vient de plus en plus à l’idée que cette notion d’espace est, dans le fond, inutile. Ces boucles ne sont pas dans l’espace : elles sont l’espace. Etant d’une taille de l’ordre de 10 puissance – 33 cm, elles sont des milliards de fois plus petites que les noyaux des atomes, lesquels peuvent être vus comme de grosses perles brodées sur le fin tissus du monde.
D’où l’image d’un « espace » comme une côte de mailles, où de petites boucles, grains analogues aux grains de lumière de la théorie quantique, s’interpénètreraient. Il n’y a plus d’espace à ce stade. Juste ces boucles.
Rovelli ne s’arrêté pas là : pour que le tissus tienne, il faut, on l’a dit, que les boucles s’interpénètrent. Elles ont donc des intersections. Comment appelle-t-on une « quantité d’espace » ? On appelle ça… un volume. Avec la conception finitiste qui émerge, on comprend qu’un volume, en tant que quantité d’espace, est un certain nombre (très grand certes, mais fini) de « grains d’espace », lesquels sont tout simplement les fameux points d’intersection des boucles entre elles (qui forment ce que les physiciens appellent un réseau de spin)
Et le temps ? on sait bien que la grande découverte d’Einstein a été de mêler intimement l’espace et le temps, au point qu’on parle, en relativité, de « l’espace-temps ». S’il n’y a plus d’espace, peut-il exister encore un temps ? Mais qu’entendions-nous jusqu’ici par le temps ? Curieuse anecdote : c’est Galilée qui a eu l’idée de mesurer le temps au moyen d’un pendule, il était à la messe en la cathédrale de Pise et lui vint à l’idée de compter les battements de son pouls entre deux oscillations d’un chandelier suspendu au plafond, il en déduisit que ces oscillations étaient régulières et qu’on pouvait les utiliser pour compter le temps. Mais il fallait qu’il ait une sacré confiance en son pouls ! De fait, plus tard, on fera plutôt l’inverse, évaluer la régularité du pouls en se basant sur le rythme d’une horloge…. C’est évidemment circulaire. On ne mesure jamais le temps mais des relations entre des objets en mouvement. Alors y a-t-il un temps ? Rovelli nous apprend que la variable « t » (inobservable directement) est de plus en plus éliminée des équations de la physique. Voilà bien autre chose… il n’y aurait plus de temps linéaire bien sage s’égrenant gentiment, seconde après seconde.
Plus de temps… donc plus de propos absurde du genre « que se passait-il avant le Big bang ? ».
Plus de temps, plus d’espace, on peut bien arriver à la conclusion que parmi les sources de poésie, la science est bien la plus abondante…

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une image de l’espace proposée par Carlo Rovelli, obtenue
en rassemblant… une grande masse d’anneaux de porte-clés !

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16 commentaires pour Qu’est ce que le temps? Qu’est-ce que l’espace?

  1. quotiriens dit :

    J’ai tout lu, mais j’y reviendrai.

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  2. michèle dit :

    tac.
    moi j’ai contribué, avec le battement de l’horloge
    je ne reviendrai pas
    les hommes, vous mettez-vous d’accord pour les sujets de conversation ?
    Je crois que je vais installer un lit dans la cuisine comme au Laverq.
    Et crécher là.
    Mes copines et moi, nous aurons d’autres sujets de conversation.
    Qui nous passionneront.

    tic.

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  3. Alain L. dit :

    alors là, Michele, vous êtes gonflée… qu’est-ce qu’il peut y avoir de plus intéressant que les problèmes du temps et de l’espace?
    Votre attitude relève d’un anti-féminisme forcené (les femmes ne peuvent pas discuter de science, c’est ça?)

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  4. michèle dit :

    Ah Alain je ne me sens pas gonflée du tout. D’ailleurs, la conversation politique qui a été avortée ici sur votre blog pour des raisons indépendantes de nos volontés, je l’ai eue avant-hier soir avec mon père et je ne m’en suis guère remise : cela a été courtois, correct, sans injures, avec conviction.
    Nous étions deux êtres civilisés côte à côte, waouh que c’était bien. Et on a rebeloté le lendemain soir, avec la même tolérance réciproque.
    Nous, les femmes, carole l’a dit ( elle est très futée cette fille ) nous abordons cela par le concret.

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  5. michèle dit :

    >Alain L. je coupe pour éviter la troncation.
    Sur la physique je ne suis pas. En technologie non plus.
    J’ai ouvert un blog le 04/07/2010 et je ne l’ouvre pas à l’extérieur.
    C’est comme ça.
    Maintenant à France Culture ce matin une femme racontait son expérience en Sibérie. La psychanayse renaît depuis 1999 ; et étudie les femmes sont monoparentales, ont un mac qui les féconde d’un enfant puis ils boivent de la vodka et sont rejetés par la femme qui l’élève seule l’enfant puis avec l’aide de sa mère. Cela forme unmatriarcat d’une extrême violence.

    Cela c’est le temps : comment les femmes se réapproprient si mal la mise en oeuvre de leur vie, en supprimant toute autorité paternelle. Le résultat est catastrophique, délirant / décadent. Comment du patriarcat du ruban blanc on est dans un matriarcat aussi destructeur.
    J’attends la suite avec une impatience sans nom : quand on communiquera en laissant la place à l’autre, dans un immense respect de nos différences intrinsèques. Sans le nier mais en le laissant se déployer.
    Cela donnera ceci, la beauté, la légèreté des
    cerfs-volants

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  6. michèle dit :

    Je suis obligée de revenir en arrière sur ma conception politique du monde : débattons.
    Ou bien on envisage le monde comme une entité énorme qu’il faut faire ployer et là une armada invincible est nécessaire.
    ou bien on envisage le monde comme les ronds concentriques que fait une pierre très plate lorsqu’on joue aux ricochets et chaque cercle entraîne le suivant plus grand etc.
    Je choisis le second monde de fonctionnement le premier me semblant propre à Sisyphe & je n’ai pas la puissance ni mentale ni physique.
    Sous cet angle-là réfléchi, je considère le temps :

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  7. michèle dit :

    Reportage entendu ce matin sur France culture très tôt, la psychanalyse renaît depuis 1999. Les femmes sont fécondées par un homme, ont un enfant, le virent, le père et élèvent l’enfant seule. Le père sombre dans l’alcoolisme est out of order.
    Le patriarcat du ruban blanc relayé par le matriarcat des femmes monoparentales. Les mères des femmes prennent le relai.
    Le résultat éducatif est catastrophique. Le temps, c’est le temps qu’il faudra pour accéder à la beauté et à la légèreté des cerfs-volants. Dans l’harmonie, le partage, le repect mutuel.
    Et l’espace.

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  8. michèle dit :

    nota rectificatif : le respect
    la réciprocité, c’est récent, je la découvre.
    Ce n’est pas la femme qui influe sur l’homme c’est l’homme aussi, et autant, qui influe sur la femme. L’interaction est étroite, et pas dirigée du féminin qui veut absolument changer le masculin (chéri, tes chaussettes dans le panier à linge grrrrr…). Cela est étriqué. Le masculin influe aussi sur le féminin.

    Bon et l’espace alors ?

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  9. michèle dit :

    L’espace : le dernier film vu date d’avant l’été et traitait des nomades dans le Caucase je crois. Depuis, pas le temps, je bloggue trop en dehors du travail qui est aussi trop dense.
    Des femmes encore, de leurs hommes, des enfants.

    Et voilà ma notion de l’espace : un ado mongolien au sens de l’espèce attaché à une ethnie, sur la steppe, sur une crête, ce me semble dans ma tête, dansant un clip de Michael Jackson. Dans le Caucase, se déhanchant comme un américain.

    Et puis, de visu, cet indien d’Amérique, très âgé, très buriné, qui porte un chapeau de cow-boy alors que son épouse aussi âgée que lui porte une très vaste jupe fleurie ; à la fin du repas il l’aide à envelopper la fin du repas dans une doggie-box à emporter dans ce qui n’est plus un tipi. Pas non plus une roulotte, mais des espèces de minuscules baraquements alignés côte à côte.

    Voilà Alain l’espace et le temps sont en très grande mutation.
    Les rapprochements et les distorsions sont énormes ; nous ne savons pas encore comment nous y prendre et avançons à tâtons. Courageux mais pas fous, prudents quand même.

    Alors, pour moi Alain les rapports au temps et à l’espace sont indissociablements liés aux humains qui peuplons cette terre, aux espèces animales et végétales.

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  10. michèle dit :

    Je tâche de concluer : les liens me passionnent. En ce moment relier la peinture à la littérature ; au cinéma, à la musique.
    Faire bien ce que j’ai à faire. Petitement. Mais bien.
    Les grandes théories, fort intéressantes au demeurant sont toujours sujettes à remaniements successifs.
    Et je me sens très féministe et moderne. Certaines femmes sont très douées en mathématiques, qu’elles foncent. Maintenant en physique nucléaire, il faut le dire à Grenoble à la fac, pas une meuf.
    Donc je ne me sens pas à part. Non. Mais ailleurs.
    Parfois, c’est vrai, je me demande si je devrais pas aller blogguer sur des blogs de filles. Je vais réfléchir.
    Un blog de chaussures.
    La fission la fusion des atomes, nous on les vit sur le tas.

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  11. alainlecomte dit :

    STOP! STOP! (comme dirait Minie)
    et à tout hasard: c’est à une femme, Lise Meitner, qu’on doit la découverte de la fission atomique!

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  12. Belle conclusion de ce billet qui me laisse songeuse. On a si souvent opposé la littérature, la poésie à la science! Il faudrait repenser totalement la formation initiale, naviguer d’une passerelle à l’autre, rencontrer de plus nombreux Alain.L pour enfin s’aventurer plus avant dans le doute et la compréhension du monde…

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  13. michèle dit :

    Voilà, on se met à penser par un biais autre que le vôtre et le résultat est STOP ! STOP !
    Merci Lise Meitner et merci Marie Curie.

    Pour le reste, je continue ailleurs mon bonhomme de chemin, sur le défilement du temps.

    Chez les aborigènes tout était inscrit. Nos civilisations développées ne le sont pas plus que celles que nous avons décimées.

    Le temps et l’espace et l’espace/temps.

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