Rentrée politique

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En matière politique, le livre de la rentrée est incontestablement le brûlot du couple Pinçon (Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot) paru sous le titre « Le Président des riches », même si, très vraisemblablement, ce livre n’aura pas la couverture médiatique d’un Houellebecq. (Cela me rappelle la parution du pamphlet de Badiou, « De quoi Sarkozy est-il le nom », d’abord dissimulé dans le fond des librairies, puis devant le succès du bouche à oreille, mis en avant au point que toute la presse avait du en parler). Les « Pinçon » sont des sociologues spécialistes de la haute bourgeoisie. Jusqu’à présent discrets et écrivant sur le mode scientifique, voilà qu’ils vendent la mèche et se mettent à tout dire sur cette invraisemblable oligarchie qui nous gouverne. La lutte de classes existe et nous l’avons rencontrée disent-ils (et la journaliste du Nouvel Observateur frissonne : un livre « quasi-marxiste » – vous vous rendez compte ?). Mais si autrefois, ladite lutte était en évidence chez les prolétaires en ordre de bataille, la classe rivale se dissimulant sous les verres fumés de la bienséance, aujourd’hui, c’est l’inverse, la conscience de classe c’est la haute bourgeoisie qui la manifeste au plus haut point. Ils sont prêts de gagner la guerre et ils le savent, mais il faut pour cela avancer dans l’ordre et savoir tout mobiliser à leur compte : l’Etat, les lois, bien sûr, mais aussi la télévision, et surtout les réseaux sociaux. Qui ne prête pas une attention soutenue et quotidienne à tous les mini-forfaits et turpitudes commis en haut lieu trouvera dans ce livre un captivant résumé des chapitres précédents. Les Pinçon ont pris la plume dès le 6 mai 2007, révoltés d’abord par la fameuse nuit du Fouquet’s, et ne l’ont plus quittée. Ils ont collectionné les articles de presse, les témoignages et les interviews. En les lisant, on s’aperçoit qu’on oublie. On oublie tout le temps. Mais eux, les héros du CAC 40, ils n’oublient pas. Si nous, médiocres contribuables, remplissons nos feuilles d’impôt en suivant scrupuleusement les consignes, eux savent s’entourer des juristes qui conviennent pour dissimuler au fisc l’essentiel de leur fortune. Le bouclier fiscal ? pas la meilleure solution, ont l’air de dire les Pinçon, même si c’est un beau cadeau au plan des symboles (d’ailleurs, « bouclier » dit bien son côté guerrier, comme le dit Sarko : « un bouclier qui laisse passer des flèches, ce n’est plus vraiment un bouclier »…). Si le manque à gagner de l’Etat n’est « que » de 600 millions d’euros (et non trois milliards), c’est bien parce que tous les ayant droits ne se déclarent pas. S’ils se déclaraient… ils devraient montrer patte blanche et s’expliquer sur des revenus curieusement absents. Mais ne boudons pas notre plaisir, il est là et bien là, ce bouclier, et ceux qui en bénéficient ne s’en plaignent pas. On oublie que « non seulement, Nicolas Sarkozy fait passer le seuil du bouclier de 60% à 50% à compter du 1er janvier 2008, mais, cerise sur le gâteau, il ajoute, au total des retenues à prendre en compte, la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) qui sont des cotisations sociales et non des impôts. Autrement dit, les 48% de ménages non imposables sur le revenu se voient prélever à la source, sur leur fiche de salaire, ces deux contributions sociales qui, pour les revenus élevés, contribuent à l’activation du bouclier fiscal ». Ainsi les premières mesures prises par Sarkozy au lendemain de son élection, qui ne fut pas vraiment une surprise (les réseaux s’étant activé au mieux et les financements ayant afflué), furent pour remercier la caste qui l’avait porté au pouvoir (les Pinçon énumèrent le cortège des légions d’honneur attribuées dès le 14 juillet suivant). Ne devrait-on pas dire plutôt juste faire ce pour quoi on l’avait amené là ?
Le livre des deux sociologues dépèce par le menu le petit monde où s’intriquent le politique et le financier, un petit monde qui vit ensemble, mange ensemble, s’amuse ensemble. On apprend par exemple l’existence de ce lieu unique : la villa Montmorency , quartier du XVIème arrondissement réquisitionné par l’oligarchie, ville dans la ville mais ville privée, quasi commune libre (l’envers d’un Christiania !) pour laquelle l’impôt foncier est également intégré au bouclier fiscal. Les millions d’euros sont distribués aux amis (Tapie entre autres ) en toute impunité alors que dans le même temps, on parle de faire entrer les indemnités d’accident du travail dans les revenus sujets à impôts.

On sort de la lecture de ce livre avec la conviction que loin de se cacher, le luxe et la fortune s’étalent, non par inconscience mais en tant qu’arme de provocation, afin qu’en chaque occasion où cela est possible, le couteau soit bien remué dans la plaie, pour que le citoyen modeste sache « qu’ils sont les vainqueurs », « qu’ils ont gagné la partie » et qu’il n’y a rien à attendre désormais des vieilles lunes qui régnaient au temps des grands mouvements sociaux. 

Pas d’espoir alors ? Les auteurs veulent encore croire à l’action solidaire des gens modestes. Ils disent écrire pour nous ouvrir les yeux, ce qui manque, c’est le savoir. Quand prendrons-nous véritablement conscience de ce fossé énorme qui existe aujourd’hui entre une classe sociale d’un effectif très restreint et le reste de la population ? Les auteurs nous invitent à nous promener dans les « beaux quartiers ». Ils nous invitent aussi à valoriser la dimension festive des rassemblements populaires, seule susceptible de donner un peu de cet esprit de corps, de ce lien social qui n’a jamais fait défaut chez les habitants de Neuilly ou de Passy.

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Et en ce jour de mort de Claude Chabrol, on ne peut évidemment faire autrement que penser aux portraits qu’il nous a donnés de ces milieux finement décortiqués par les époux Pinçon.

(photos Médiapart et première.fr)

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8 commentaires pour Rentrée politique

  1. michèle dit :

    Et avant lui Balzac, Zola, fine description de milieux corrompus par l’argent.

    Cet été, nous, dans une compagnie aérienne low cost, qui finalement était assez coûteuse et d’une médiocrité éhontée, nous avons eu droit à un éditorial écrit par le pdg de la boîte qui était à vomir de dégoût : que puisqu’on voyageait à bas coût, il fallait bien se priver and so on. Un sandwich immonde emballé dans du plastique, à peine si nous avons eu droit à boire, plus tard paraît-il, il faudra payer pour aller aux toilettes, et lorsque le passager situé devant nous basculait son siège vers l’arrière, il fallait se munir de son masque à gaz pour avoir un bol d’air.
    C’est ça la société capitaliste, elle est humiliante et arrogante.

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  2. carole dit :

    je crois que les gens s’en aperçoivent de ça… ! ce qui manque c’est l’esprit de désobéissance civile… et puis chacun se retranche frileusement derrière son moindre petit privilège, et le respect immodéré pour les puissants et pour l’argent, de la part de ceux qui n’en ont pas : ça existe aussi. c’est de la fascination. Comment faire ?

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  3. michèle dit :

    >carole comment faire ?
    Ne rien faire.
    L’argent c’est une addiction.
    Considérer que c’est utile et pratique et hop, l’utiliser comme un moyen mais pas comme un but.
    Nous, avec mes copines, on a décidé d’être solidaires, les unes des autres.
    Une de mes chères amies, J a 82 ans, et touche 560 € de retraite par mois, ceci depuis 23 ans ; vit et quand on va chez elle est généreuse un max.
    Vous avez écrit Carole je ne voyage pas parce que je ne suis pas riche : pas riche, on peut voyager mais on voyage différement, ça c’est sûr. Et on peut tricher : à Ahwahnee, cet été, nous avons pris un petit déj. qui coûtait un repas ailleurs. C’était la classe. Quand j’ai acheté le NYT, le vendeur m’a dit, restez, ne partez pas, venez vivre ici. Je me suis dit mais qu’est ce qu’il fait qu’est ce qu’il a qui c’est celui-là ? Ben simplement les clients de l’hôtel ne lui adressaient pas un mot à lui l’employé de la sweet shop, et moi je lui ai parlé comme à un être humain normal.
    Vous croyez pas Carole que si j’y retournais j’aurais mes chances IRL ?
    Quand on vit derrière son ordi, branché à son facebook et en perf. avec son laptop comment voulez-vous déclencher la moindre désobéissance civile ? Non, les jeunes disent, moi je veux être riche. Et comptent le devenir.
    Cela ne m’abat pas, faut tracer sa route.
    Comment faire, questionnez-vous inquiète : aimer un individu qui vous ressemble ; et hop, ne pas savoir où on va mais y aller à deux, ça c’est chouette. Pas sur les chapeaux de roues, non, molto tranquillo, si.

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  4. alainlecomte dit :

    Que faire, Carole, bonne question…. Hélas, je suis de votre avis: pour l’instant, pas grand chose. Les Pinçon proposent un certain nombre de réformes à la fin de leur livre: rendre le vote obligatoire me paraît complètement illusoire quant à ses effets possibles (on le voit bien dans le cas de la Belgique), restaurer la progressivité de l’impôt: oui, mais qui mettra en place une telle réforme? On devine hélas en lisant ce livre que lorsque Sarko, en tant que vulgaire valet de l’oligarchie, ne satisfera plus ses maîtres, ceux-ci seront capables de lui en préférer un autre… en la ersonne, pourquoi pas, d’un certain… DSK!
    Malheureusement, le dernier commentaire de Michele ne s’est pas affiché (problème technique? cette plateforme regorge de problèmes techniques – des fois, y en a marre!). Elle y propose une solution très individuelle. Mais Michele, tout le monde ne peut pas faire ce que vous suggérez (partir à deux, avec son sac à dos)…

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  5. alainlecomte dit :

    ah ça y est, le commentaire de Michele s’est affiché… (mais pourquoi avec un tel délai?). C’est vrai quand même que les menus actes du quotidien (comme l’attention accordée aux personnes) peuvent servir à quelque chose, mais c’est une goutte d’eau.

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  6. carole dit :

    @Michèle : je ne l’ai pas trouvé celui avec qui je pourrais partir au bout du monde 🙂 mais j’aime vos petites solutions pour aimer la vie et rester à l’écoute des autres ! merci
    @Alain : toutes ces petites gouttes d’eau pourraient faire une belle rivière. il faut de l’énergie et faire passer le message autant qu’on peut !!!

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  7. michèle dit :

    >Alain L. il y a un délai désormais entre le message envoyé et la publication sur un blog ( au Monde ). Faut pas paniquer (dit-elle). De vous, je sais que vous ne m’effacerez pas et que l’on a la chance de dire hors blog ce qui ne se dit pas sur un blog donc smile, hey. Et le sac à dos a des roulettes depuis trois ans, on n’est pas des boeufs, hein ?

    >carole j’ai compris, là, que le voyage est le meilleur moyen d’accéder à l’autre. On est quasiment nu. Avec ses rides, le dos qui peine au bout de tant de km, les rythmes diurnes et nocturnes et les désirs profonds. Et sa façon à soi, intrinsèque, de voir la vie.
    Avec un, meetic, j’aurais aimé qu’il me dise d’ac. pour aller voir la tombe de Sitting bull, même s’il y a 150 bornes de détour, qu’on s’arrête à Big Sur même si c’était pas le jour, et que je me baigne dans tous les grands fleuves. Ouaip : comme Alain emmène son épouse voir les grands sommets car elle est fan des grands sommets, moi j’aimerai faire les sources, les embouchures et me trempouiller dans les grands fleuves. J’ai vu un tableau que je vous retrouverai où un artiste a écrit le nom des cent (je crois) plus grands fleuves de la planète terre.
    carole vous n’avez pas à le trouver, il est là, il vous sait mieux que ce que vous vous savez vous-même. Parfois, c’est difficile sur le plan de l’intimité, il vous faudrait des voiles.
    >Alain L. et carole trouvé chez Célestissima ce com.
    Celeste le 11.09.10 à 20:42
    @salut GdC
    j’aime beaucoup cette phrase des indiens hopis
    « Nous sommes ceux que nous attendions »
    et celle-ci, de Gandhi
    « Sois le changement que tu veux voir dans le monde »
    merci de ton passage

    Bien cordialement à vous deux, et trois et quatre.

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  8. @ alainlecomte : je vois d’où vient votre allusion à la Villa Montmorency. Mais son « roman » a donc déjà été écrit, inutile d’en rajouter !

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