Après Chomsky…

Maintenant que le soufflé est un peu retombé, on peut revenir de manière critique sur cet évènement que fut la visite de courte durée accomplie par Noam Chomsky à Paris (du 28 au 31 mai) et dont il a été rendu compte sur ce blog. Merci aux commentateurs, particulièrement à ceux et celles du billet sur Milner. Merci à Hans qui a fait connaître ma réaction aux linguistes, et aux nombreux visiteurs curieux qui, du coup, sont venus « voir », et pour certains, mettre leur point de vue. On ne dira jamais assez le bonheur que c’est, pour un blogueur, « d’avoir des commentaires », même si ceux-ci sont critiques. Surtout s’ils le sont, d’ailleurs. Extraordinaire opportunité d’Internet que de faire se rencontrer des gens et des pensées qui, dans le monde « réel », s’ignorent (oui, je sais, c’est dommage, mais c’est ainsi). J’ai dit et je maintiens que la visite de Chomsky a apporté une bouffée d’air dans une vie intellectuelle qui tourne au ralenti. Mais elle a suscité aussi un engouement surprenant. Etrangeté de cette petite communauté intellectuelle et parisienne qui peut s’enflammer pour un philosophe ou un écrivain quitte à l’oublier bien vite…

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sortie rue de l’Ecole de Médecine

Revenant un peu en arrière sur ces jours, je suis plus à même de discerner cette part (allez, disons-le) d’amour dans ce genre de phénomène. J’y pensais aussi en cette fin d’après-midi du 31 mai lorsque, après avoir un peu flâné dans et autour du Collège de France, et remontant la rue Saint-Jacques, je me suis retrouvé par hasard marchant derrière le célèbre linguiste. Ne me suis-je pas surpris moi-même à ralentir mon pas pour le suivre, comme si cela me procurait du plaisir, j’éprouvais évidemment de l’affection pour cet homme [je peux vous le dire – un scoop ! – il est entré dans une petite épicerie en haut de la rue Saint-Jacques, juste avant le croisement avec la rue Gay-Lussac, probablement pour s’acheter un sandwich, après je sais pas, j’ai continué vers le Jardin du Luxembourg]. Chomsky aura été, pendant ces quatre jours, entouré, chouchouté et protégé. Nul ne saurait s’en plaindre. Après tout c’est un vieil homme à la voix fatiguée. Mais quand même, comme toujours en ces cas-là, on aurait aimé plus d’impertinence, moins de consensus respectueux dans l’assistance…

« Chomsky, à mon sens, est trop attaché à une rationalité de type positiviste rigide » dit erikantoine dans son commentaire. C’est là en effet une image que l’on peut avoir. Qu’a fait Chomsky pour s’en défaire ? Souhaite-t-il seulement s’en défaire ? Il ne renierait certainement pas cette étiquette, semble-t-il. D’ailleurs, à mon sens, derrière l’invitation faite par Bouveresse n’y avait-il pas de la part du philosophe du Collège de France, volonté de récupérer l’intellectuel du MIT au service du positivisme ?
Or, le positivisme, en tant que doctrine qui prône la réduction des énoncés de la science à des « énoncés protocolaires » retraçant nos perceptions directes, et à leur traduction totale dans un langage formel, pose évidemment problème. Et c’est sûrement une position que Chomsky ne tiendrait pas longtemps : il suffit de lire ses positions épistémologiques à propos du réductionnisme, justement, ou bien sa défiance à l’égard d’une formalisation mathématique de sa théorie qui s’avère toujours selon lui en excès, pour s’en convaincre. Pourtant on ne saurait nier ses tendances vers le positivisme, ainsi qu’en témoigne notamment son jugement étrange à l’égard des mathématiques, assimilés à une science empirique. S’il y a bien eu des pas décisifs de faits sur la réfutation de cette doctrine, c’est pourtant bien en mathématiques, et ce, depuis au moins la théorie des ensembles (et Dedekind, Cantor etc.). Le philosophe Jean Cavaillès en a bien fait l’analyse.
Quel dommage que dans ces assemblées respectueuses, y compris au Collège de France, il n’y ait pas eu quelque mathématicien distingué pour lui en faire la remarque.

D’autres questions auraient valu la peine d’être posées, même si le questionneur eût risqué dans une telle hypothèse de se voir immédiatement condamné par des centaines d’yeux courroucés, imaginons par exemple : « Professeur Chomsky, que pensez-vous de la psychanalyse ? ». La réponse aurait peut-être été très décevante, et pas si éloignée d’arguments à la Onfray, hélas.
Le même érikantoine, dans son commentaire, pointe également l’ambiguïté de la notion de « computationnel », mise en avant dans la théorie chomskyenne. « Ainsi, dit-il, il choisit (dans les années 1950) de dire que le langage est un système computationnel et il exclut toute autre approche ». Je pense que Chomsky utilise cette notion comme métaphore et qu’il n’a absolument pas en tête la calculabilité au sens informatique du terme. Ceci d’ailleurs enlève l’eau au moulin de ceux qui continuent de le critiquer « parce qu’il assimilerait l’esprit à un ordinateur », ce qui est tout à fait faux : depuis de nombreuses années, Chomsky se détourne de toute application informatique et s’oppose à ce que sa notion de complexité soit identifiée à la complexité algorithmique. Il semble penser qu’il existe une complexité (et une « computation ») d’un autre ordre, biologique en quelque sorte. Mais cela n’est-il pas justement mystérieux ? Cela n’ajoute-t-il pas encore plus de mystère à l’objet qu’il n’en a déjà ? En contradiction même avec son souci de ne regarder que les choses qui peuvent avoir une solution, peu nombreuses en raison de notre modeste équipement cognitif?

Voilà pourquoi je disais, il n’y a pas longtemps, que je n’étais pas toujours nécessairement d’accord avec Chomsky. Et je continue à rêver d’une fois où, au lieu de me contenter de le regarder filer dans la rue… je pourrais le lui dire entre quatre yeux.

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pigeon, jardin du Luxembourg, 31 mai

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34 commentaires pour Après Chomsky…

  1. Carole dit :

    Mon équipement cognitif étant plus que modeste 🙂 j’ai du mal à comprendre. J’aimerais savoir ce qu’est une science empirique : est-ce différent d’une science expérimentale ? qu’est-ce que l’on entend par positivisme ? parce que je ne comprend pas cette phrase : « le positivisme, en tant que doctrine qui prône la réduction des énoncés de la science à des « énoncés protocolaires » retraçant nos perceptions directes, et à leur traduction totale dans un langage formel, pose évidemment problème. » mais dans le fond, est-ce bien raisonnable de ma part de me mêler des affaires des intellectuels ??? 🙂

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  2. Alain L dit :

    mais oui, Carole, je l’ai déjà dit: les affaires des intellectuels sont les affaires de tout le monde! tout le monde est concerné par les vrais problèmes (pas par les faux, bien sûr 🙂 !) Oui, admettons que j’ai été un peu rapide sur ce coup-là. Le positivisme? c’est d’abord Auguste Comte bien sûr, mais plus près de nous ce sont les positions défendus surtout autour des années 1920 au sein du Cercle de Vienne (Carnap, Schlick, plus ou moins Popper etc.). Pour eux il n’est de connaissance que basée sur des faits empiriquement constatables (c’est-à-dire par nos sens), or la science depuis a souvent montré qu’elle avait besoin de « fictions » (des choses qu’on ne sait pas nécessairement observer). Newton par exemple faisait référence à l’attraction universelle, qui est une force, or les forces en tant qu’actions à distance avaient de son temps un caractère plutôt magique, elles l’ont d’ailleurs toujours, mais on s’y est habitué. Inutile de dire que pour le positivisme, la psychanalyse n’existe pas: on ne peut pas palper l’inconscient.
    Quant aux sciences empiriques ce sont celles qui se rapportent à un secteur perceptible de la réalité, donc en effet les sciences expérimentales. Difficile d’y mettre les mathématiques: les nombres ne sont pas dans la nature, ni les structures étudiées par les algébristes: elles sont le produit de notre esprit, et on les applique au réel pour rendre ce dernier intelligible à nos pauvres esprits…. 😉

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  3. Carole dit :

    merci beaucoup d’avoir pris le temps de m’expliquer ! je me demande un peu dans quelle catégorie se range les sciences humaines. La philosophie par exemple c’est plutôt comme les mathématiques alors ?

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  4. alainlecomte dit :

    ce qui différencie les maths de la philo c’est qu’en maths, comme dans les autres sciences, il y a une « norme du vrai » (en maths c’est la preuve, dans les sciences de la nature, ce sont des montages expérimentaux qui ne « prouvent » pas, mais qui, au moins, étayent des hypothèses). En philosophie, il n’y a pas une telle norme: un énoncé n’y est jamais « prouvé » ni « réfuté » définitivement, c’est au mieux le lieu de l’argumentation (qui peut se prolonger indéfiniment). S’il n’y a même pas d’argumentation (cf. mon billet sur Milner), alors, il ne reste plus grand chose! Quant aux sciences humaines, il en est des « expérimentales » et il en est des plutôt philosophiques. Noter que le fait d’être « philosophique » ne leur enlève rien, ce n’est pas une offense. Il faut peut-être après tout nous habituer au fait que tout n’ait pas forcément une réponse stable voire définitive. Les questions nous font davantage vivre que les réponses…

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  5. Merci pour ces articles sur Chomsky qui nous l’ont rendu à la fois plus proche (vous étiez en quelque sorte « dans ses pas », et rue des Ecoles, évidemment !) et plus accessible.

    Vos photos ont mis la touche utile et sympathique sur l’ensemble, agrémenté même de sauts de paragraphes et de phrases soulignées en rouge : tout était parfaitement clair !

    Quant à Milner, il fallait bien que quelqu’un fasse la leçon.

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  6. jmph dit :

    Joli billet, mêlant, avec son habituel talent, la critique intellectuelle (même quand je n’y comprends pas grand chose, je lis en essayant d’y recueillir quelques miettes) et le témoignage de ta subjectivité qui, à mon sens, ne doit jamais être oubliée dans toute prise de position.

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  7. erikantoine dit :

    « « Ainsi, dit-il, il choisit (dans les années 1950) de dire que le langage est un système computationnel et il exclut toute autre approche ». Je pense que Chomsky utilise cette notion comme métaphore et qu’il n’a absolument pas en tête la calculabilité au sens informatique du terme. »

    C’est marrant quand même le fait que tout le monde croit que c’est une métaphore. Il me semble pourtant que Chomsky insiste suffisamment sur le contraire. Mais effectivement, ça paraît tellement réducteur et bête que tout le monde veut sauver le soldat Chomsky et sa ‘linguistique’ sans intérêt. Peut être que ce qu’il entend par computation n’est pas une computation informatique, mais une computation proprement linguistique, mais ça n’empêche pas qu’il pense bien à un système de computation. La manière parfaitement ridicule dont il a analysé la phrase (elle-même assez ridicule) ‘can eagles swim’ (pour un exemple aussi simple, il a besoin de postuler un mouvement puis un effacement à l’externalisation de ‘can’, qui au niveau computationnel serait deux fois dans la phrase: can eagles can swim. Arrêtez moi si j’ai pas compris, mais si j’ai compris, je suis mort de rire).

    Mais Chomsky paraît tellement sûr de lui, il parle si bien, et il affirme avec tant de force que son approche est la seule qui vaille. Il traite avec un mépris souverain toute autre approche que la sienne, on l’ a vu le 29 au CNRS: toutes les autres approches cognitives que la sienne ont échoué d’après lui, seule la grammaire générative a évolué avec succès. En fait, les postulats de départ étaient tellement aberrants que réduire le nombre de ‘règles’ n’est pas un progrès de type scientifique, mais plutôt une contention du délire sous le poids des critiques et des échecs. Le générativisme a été un hégémonisme paralysant dont on est heureusement sorti. Très en vogue en Allemagne, par exemple, il a été enseigné des années, alors qu’il est d’une pertinence très limité pour décrire l’allemand, et à vrai dire tout autre langue que l’anglais, mais Chomsky ne semble de toute façon pas avoir très conscience que d’autres langues existent. D’où son attitude face à la variation (simple accident hors du champ de la linguistique, selon lui !!!)* et sa manière de nous parler en anglais et de trouver normal qu’on lui réponde dans cette langue, sans un mot d’excuse pour signaler qu’il parlera en anglais, excusez-moi etc. Un vrai impérialiste américain.

    Autre remarque hallucinante de Chomsky à une question d’une auditrice le samedi 29: ‘we need a better theory of the small clause’. Comme il ne semble pas avoir lu autre chose que ses propres livre récemment, je peux lui conseiller de S. Dik, 1997, Functional Theory of Grammar, I: The structure of the clause, Mouton de Gruyter. C’est très intéressant. Evidemment, peut-être ça va l’ennuyer, c’est de la linguistique, basé sur la typologie, pas de l’enfilage de perles computationnel dans une syntaxe asémantique de l’anglais élevé au rang ‘du langage’.

    Comme on le voit, depuis la venue de Chomsky, je suis assez hors de moi. Je me permets d’être incisif, car j’ai trouvé son rapport aux autres théories totalement ascientifique: aucune discussion sérieuse des arguments, aucune référence aux autres approches du langage. Alors que ce que j’ai compris des analyses m’a paru très faible.
    Peut-être j’ai mal compris et Chomsky a suffisamment de gens qui le suivent pour que peut-être des choses soient intéressantes. Mais ça me fout en rogne qu’on ne se serve pas de sa notoriété pour faire connaître la linguistique. Il y a d’autres théories syntaxiques et linguistiques, et d’autres linguistes. Citons:
    les fonctionnalismes:
    Fonctionnalisme de l’école de Prague (Mathesius)
    Fonctionnalisme de Paris (Martinet)
    de nos jours:
    Fonctionnalisme d’Amsterdam Dik
    Fonctiunal Discourse Grammar Hengelveld & Mackenzie
    http://www.functionaldiscoursegrammar.info/
    role and reference grammar de Van Valin
    http://linguistics.buffalo.edu/people/faculty/vanvalin/rrg.html
    Construction Grammar Fillmore & Kay
    Cognitive linguistics, de Ron Langacker
    Théorie des espaces mentaux, Fauconnier
    Talmy Givon: 1984 et 1990.
    Il y a la théorie de la structure informative de l’énoncé de Lambrecht:
    http://books.google.com.au/books?id=GhrWzz3mKOEC
    Il y a tout le courant pragmatique issu de Searle et Austin
    en Europe : Ducrot, Berendonner, Anscombre …
    J’en passe et des meilleurs. Bref il y a beaucoup de choses.
    Bons ouvrages d’introduction à la syntaxe d’un point de vue typologique:
    Denis Creissels: Eléments de syntaxe générales, 1995, PUF
    Denis Creissels, Syntaxe Générale, une introduction, 2006, Hermes
    En typologie il y a bien sûr tout le travail de Greenberg et Comrie, Aikhenvald, Dixon etc.
    Théorie dépentielle de la syntaxe:
    L. Tesnière, Eléments de syntaxe générale, édité par J. Fourquet
    Néotesniérisme:
    A. Lemaréchal, Les parties du discours, PUF

    G. Graffi, 200 years of syntax, 2001, signale qu’il existe environ 20 théories syntaxiques.

    Sur le type de rationnalité qu’il met en oeuvre: Pourquoi croire que la science, pour être science, doit être newtonienne. Quel rapport entre une pomme qui tombe, et le langage ? Aucun. On pourrait expliquer le langage avec des notions purement physique qu’on aurait toujours pas expliqué comment on parle.
    De nombreux linguistes prennent comme modèle plutôt la biologie. Le fonctionnalisme selon Givon (1984) ou Salikoko Mufwene (the ecology of langage evolution), qui compare les langues non pas à des organismes, mais à des espèces. L-J Calvet aussi.
    Il est à noter que tous ces gens discutent avec Chomsky (dans les bouquins), le cite et argumentent contre ses théories. Personne ne se contente de faire comme si ça n’existait pas.
    J’aimerais citer une interview de L. Trask dans the Guardian 2003, qui me paraît résumer ce que beaucoup de linguistes qui aiment les langues pensent de la linguistique Chomsky:
    http://www.guardian.co.uk/science/2003/jun/26/scienceinterviews.artsandhumanities

    « I have no time for Chomskyan theorising and its associated dogmas of ‘universal grammar’. This stuff is so much half-baked twaddle, more akin to a religious movement than to a scholarly enterprise. I am confident that our successors will look back on UG as a huge waste of time. I deeply regret the fact that this sludge attracts so much attention outside linguistics, so much so that many non-linguists believe that Chomskyan theory simply is linguistics, that this is what linguistics has to offer, and that UG is now an established piece of truth, beyond criticism or discussion.The truth is entirely otherwise. »
    « Je n’ai pas de temps à perdre avec les théorisations chomskyennes et le dogme de la grammaire universel. Ce truc, c’est autant d’inepties réchauffées, plus proche d’un mouvement religieux que d’une entreprise scientifique. Je suis assez confiant dans le fait que nos successeurs considéreront la grammaire universelle comme une gigantesque perte de temps. Je trouve regrettable que ce truc vaseux attire autant d’attention hors de la linguistique, à tel point que de nombreux profanes pensent que la linguistique de Chomsky est LA linguistique, que c’est ce que la linguistique a à offrir et que la grammaire universelle est une vérité établie, au-delà de toute discussion ou critique. La réalité est complètement à l’opposé de cette image. »

    Comme on voit, il existe des critiques de Chomsky (sérieuses, je veux dire). Je le signale parce que l’atmosphère d’unanimisme que les hôtes se sont attendu à trouver est scandaleux. Chomsky est un des personnages les plus colossaux du monde intellectuel actuel. En quoi il n’est pas étonnant que ses conférences soient pleines. Personne n’a dit qu’il fallait être béat d’admiration pour venir l’écouter (cf. les papiers qui ne comprennent pas qu’on puisse critiquer sa linguistique).
    http://en.wikipedia.org/wiki/Criticism_of_Noam_Chomsky
    et dans L-J Calvet: Essai de linguistique, Payot 2004
    La grammaire générative, réflexions critiques, Claude Hagège.
    http://www.jstor.org/pss/30249204

    Voilà, si quelqu’un lit encore les commentaires de ce billets, déchaînez-vous !… Aïe, non pas sur la tête.

    *amusant pour quelqu’un qui a appelé ‘découvrir des règles universelles’ une réécriture formalisée des universaux dégagés par Greenberg. Cf. Calvet 2004

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  8. alainlecomte dit :

    NB: ce commentaire est très long, et les rédacteurs du Monde.fr m’ont demandé si je souhaitais le valider, oui, bien sûr. On en discutera après!

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  9. erikantoine dit :

    C’est vrai, c’est très long, je vous prie de m’excuser. Merci de l’avoir validé quand même

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  10. alainlecomte dit :

    … le problème, c’est que pour répondre… il va me falloir être aussi long! 😉
    (il faudrait en fait un ouvrage entier pour répondre à tout ça, c’est là qu’on voit les limites de la formule « blog »…)

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  11. Carole dit :

    excusez de mon intrusion candide ! après tout chacun son domaine, chacun sa spécialité et si ça fait vivre … pourquoi pas ? mais au fond je me demande pourquoi faut-il que ces gens s’interrogent tellement sur « comment on parle » alors que le SENS de ce que l’on dit ne semble plus occuper personne !!!

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  12. erikantoine dit :

    – Mais oui, c’est vrai, ça sert à rien, les sciences du langage ! Mais bon, y a des gens qui gagnent leur vie avec ça, alors…

    – Ah bon, ok… Mais attends, tu veux dire qu’ils gagnent des sous en faisant un truc inutile ? Mais c’est un scandale. Attends, c’est la crise, moi, on m’a même sucré la garden party. Y aurait pas de l’argent à récupérer là, avec leur départements de linguistique qui servent à rien.

    – Ben si, c’est en cours d’ailleurs. On peut pas faire ça d’un coup, ils sont quand même nombreux, hein, ces mecs. Y en a un peu partout, presque chaque fac, le cnrs, t’imagine pas.

    – Ouais mais attends, putain, on finance ça avec nos sous. Au fond, l’endettement de la france, c’est pas un peu ça aussi: trop de choses inutiles pour tout le monde ? Attends, j’te demande un peu, tu sais parler, écrire, non?, moi aussi. Bon alors c’est quoi le problème ?

    -Oui, mais si, parce que tu vois, ils font des trucs aussi, genre traitement informatique des langues et décrire des langues pas connu et menacées comme l’eyak, le gon…

    – Le quoi ? le gon ? C’est moi qui vais sortir de mes gonds! Putain n’importe quoi. Bon, s’ils travaillent avec les ordinateurs ok, on a qu’à mettre l’argent dans les recherches de la traduction automatique. Comme ça au moins, on se passera des ses putains de traducteurs et d’interprètes qui se gourent tout le temps. Le reste on ferme. L’eyak, non mais n’importe quoi. Est-ce qu’ils peuvent pas apprendre l’anglais, ces sauvages, s’il veulent rentrer dans l’histoire ? Pour le reste, moi, je peux te dire, je sais très bien comment je parle. Je vois pas ce que trois crâne d’oeuf du CNRS peuvent bien nous apprendre sur la question. Allez, on ferme.

    – Oui bon, ne t’inquiète pas, la réforme, c’est ça. Avec les évaluations, là on a déjà pu fermer quelque labo inutiles, comme celui de sémiologie à Descartes. Faut dire qu’on a un bon à Paris 5. Kahn, c’est le meilleur. Il a même trouvé le moyen d’interdire en cours de route tout renouvellement d’inscription en thèse au delà de la 5e année, même pour les gens qui ont largement commencé. Comme ça on tarit à la source. Mais bon, ça prendra encore quelques années. C’est qu’on revient de loin. Tous ces trucs inutiles qu’on étudie à la fac, j’te jure. Et personne qui s’en est préoccupé avant. Pourvu qu’on soit réélu en 2012, qu’on puisse finir le boulot.

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  13. alainlecomte dit :

    c’est bien. Sur ce blog, je n’ai plus rien à faire. Les questions et les réponses se font toutes seules, génial. Je peux donc partir en week end en toute quiétude.
    Carole, si on faisait la liste de tout ce qui, d’un certain point de vue (du point de vue utilitariste justement, c’est-à-dire monétaire) ne servent à rien… il n’y aurait plus grand chose qui vaille la peine dans cette vie. Mais peut-être la question était-elle autre, elle portait sur « pourquoi n’étudiez-vous pas le sens, plutôt que le langage? ». Parce qu’il n’y a pas de méthode pour étudier « le sens » en lui-même, que ce n’est pas un objet scientifique peut-être métaphysique, théologique? moi, le Sens, je ne sais pas ce que c’est.
    Quant au langage, la discorde avec Erikantoine vient de ce qu’on peut là aussi prendre les choses de plusieurs points de vue. Chomsky incarne une certaine manière de traiter le langage. En tant qu’objet scientifique. Cela signifie une certaine exigence « explicative ». Il y a une différence importante entre un ensemble de notions descriptives, plus ou moins rigoureusement appliquées dans les nombreuses approches citées (auxquelles il manquerait aussi la théorie de l’énonciation de Culioli notamment), et quelque chose qui se veut une théorie explicative, c’est-à-dire un ensemble de thèses si rigoureusement articulées qu’on peut calculer et déduire, voire faire des prédictions. La théorie minimaliste de Chomsky est formalisable (c’est d’ailleurs sur ce sujet que porte une grande partie de mon travail personnel). Ce n’est pas anecdotique, et cela lui donne une supériorité par rapport à d’autres approches. Ce qui est drôle, c’est que Chomsky… n’aime pas tellement ça (la formalisation)… Et pourtant… Dans quelle théorie, est-on assez rigoureux pour pouvoir dire « si j’ajoute ou si j’enlève telle ou telle contrainte, j’augmente ou je diminue objectivement la complexité d’analyse »? C’est de ce genre de résultat dont on a besoin si on veut que la linguistique… (pour répondre à carole!) serve vraiment à quelque chose, c’est-à-dire ne soit pas un simple herbier de fleurs désséchées mais soit, comme le dit Pinker (je pense qu’à la seule évocation de ce nom, erikantoine s’étrangle) « une fenêtre ouverte sur le fonctionnement de notre esprit ».

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  14. erikantoine dit :

    Ou alors, on peut dire aussi:
    « A l’Université se réalise le vouloir-savoir originel qui, initialement, n’a pas d’autres buts que de savoir ce que nous pouvons connaître et ce que, grâce à la connaissance, nous devenons. Le plaisir de savoir s’accomplit dans la vision et l’approche méthodique de la pensée, dans l’autocritique qui éduque à l’objectivité, mais nous expérimentons également les limites, le véritable non-savoir, et ce que nous devons supporter intellectuellement dans l’aventure de la connaissance ». Karl Jaspers, De l’Université, Parangon, 2008, trad. I. Lachaussée, p. 18

    Ou bien:
    « Pensez-vous sérieusement que l’étude du langage ait besoin, pour se justifier ou pour se disculper d’exister, de prouver qu’elle est utile à d’autres sciences ? C’est une exigence à laquelle j’ai commencé par constater qu’elle répondait largement et peut-être beaucoup plus qu’une foule de sciences, mais je ne vois pas ensuite, je l’avoue, que cette exigence soit justifiée. A quelle science pose-t-on cette condition préliminaire d’exister qu’elle s’engage à livrer des résultats destinés à venir enrichir d’autres sciences s’occupant d’autres objets ? C’est lui refuser tout objet propre. On peut seulement demander à chaque science aspirant à se faire reconnaître d’avoir un objet digne d’une attention sérieuse, c’est-à-dire un objet qui joue un rôle incontestable dans les choses des l’Univers, où sont comprises avant tout les choses de l’humanité ; et le rang qu’occupera cette science sera proportionné à l’importance de l’objet dans le grand ensemble des idées.
    Maintenant, estime-t-on que le langage soit dans cet ensemble un facteur digne d’être aperçu ou un facteur nul, une quantité appréciable ou une quantité négligeable. […] Le langage ou la lange peut-il donc passer pour un objet qui appelle, par lui-même, l’étude ? Telle est la question qui se pose. Je ne l’examine même pas. Je vous dirais, Messieurs, qu’on a tout refusé à notre pauvre espèce humaine comme caractère distinctif vis-à-vis des autres espèces animales, tout et absolument tout, y compris l’instinct d’industrie, y compris la religiosité, la moralité, le jugement et la raison, tout, excepté le langage, ou comme on dit la parole articulée, ce terme d’articulé étant un terme au fond obscur et très vage sur lequel je fais toutes réserves. » F. de Saussure, Ecrits de linguistique générale, Gallimard, 2002, p. 145

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  15. alainlecomte dit :

    Belles citations… et quelle réactivité!

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  16. alainlecomte dit :

    En complément, je reviens, pour citer deux billets du mois de janvier
    http://alainlecomte.blog.lemonde.fr/2010/01/24/le-langage-et-ses-%C2%AB-technologies-%C2%BB-i/
    et
    http://alainlecomte.blog.lemonde.fr/2010/01/27/le-langage-et-ses-%C2%AB-technologies-%C2%BB-ii/
    où l’on verra que le problème qui m’occupe est davantage celui de l’utilité de la linguistique que celui de son inutilité. Quand en effet, les sciences cognitives et, parmi elles, la linguistique, deviennent « utiles », ça risque de faire mal. Heureusement: les politiques ne l’ont pas encore tout à fait compris et les réalisations techniques sont encore balbutiantes (les connaissances linguistiques qui y sont intégrées étant le plus souvent rudimentaires, au nom de « la performance »!)

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  17. Carole dit :

    bô ! pardonnez-la, elle ne sait pas ce qu’elle dit !!! j’ai déclenché les foudres. d’ailleurs c’est pas vraiment ce que je voulais dire… mais bon… je voulais juste dire que pour moi, de ma petite fenêtre (mais elle est bien étriquée je l’avoue) il me semblait qu’à force de décortiquage on perd le sens : le langage pour le langage, l’art pour l’art… enfin voyez vous ? non ? … je ne sais pas comment dire ça ! j’ai pas les mots qu’il faut. en tout cas je ne suis pas sur la bonne longueur d’onde apparemment. Pardon, je m’en vais…

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  18. erikantoine dit :

    Voilà, excusez mes diatribes, ce n’est pas pour dire que l’intention de carole était de virer les inutiles, mais il faut comprendre qu’actuellement on fait tellement la chasse à tout ce qui ressemble de près ou de loin à une science humaine, à tout ce qui n’a pas d’application, d’ ‘utilité’ selon des critères définis de manière très très restreints que ceux qui aiment certaines matières traditionnellement étudiées et enseignées à l’Université souffrent.

    Par ailleurs, pour répondre à AL, je trouve que votre commentaire manifeste bien, même chez quelqu’un d’ouvert et de tolérant (et passionné des langues dans leur diversité, si j’ai bien compris), la pente inconsciente de l’approche chomskyenne: la trivialisation de la linguistique des langues et des discours et la supériorité revendiquée d’une ‘linguistique’ que j’appellerais de formalisation d’énoncés simplifiés et décontextualisés.
    Je m’explique:
    Vous commencez par dire que ce sont deux approches simplement différentes. Et puis insensiblement, on passe de ‘il prend la langue comme objet scientifique’ (ah bon, et pas les autres linguistiques alors ? On ne fait pas de la science alors ? merci, c’est sympa), puis le un peu vexant ‘des notions descriptives plus ou moins rigoureusement appliquées’ (donc les approches que j’ai citées ne sont pas réputées rigoureuses ? Pas rigoureux Ducrot, Lambrecht, Van Valin ?), l’abaissement des bienfaits de la description adéquate pour finir par le très définitif : ‘cela lui donne une supériorité par rapport à d’autres approches’. Ce Chomsky déclenche vraiment des réactions d’adhésion bizarres. Alors que vous-même vous la décrivez comme ‘une’ approche, parmi d’autres, vous terminez en lui accordant ‘une supériorité’. C’est dingue, non ?

    Par ailleurs, je ne suis pas tout à fait d’accord quand vous dites que Chomsky prend la langue comme un objet scientifique. Ce n’est pas sa spécificité. Toutes les linguistiques (sérieuses) font ça. Et je précise que les approches que j’ai citées ne sont pas toutes compatibles entre elles.
    La spécificité de Chomsky, c’est qu’il sépare radicalement son objet de son observation. En effet, il dit qu’il faut distinguer le Internal language du External language et que l’objet du linguiste est le I-language qui est un système de computation universel interne à l’être humain (si j’ai bien compris les conférences). Par ailleurs, il est acquis me semble-t-il, que voici maintenant 60 ans que Chomsky travaille sans corpus. Parce que les corpus, ça ne recueille que de la variation et que on ne peut pas fonder une science de la variation infinie (d’après lui). Donc Chomsky, pour fonder une ‘science’ du langage commence par fabriquer un objet inobservable. C’est original non ? Ainsi l’objet est à la fois un donné naturel (c’est vrai que c’est immédiat comme objet ‘le langage’, un peu comme ‘une phrase’ pour sa syntaxe, c’est un objet naturel une phrase) mais qu’on ne pourra pas observer par des procédés empiriques pour faire un va et vient entre théorisation et observation. Honnêtement, quel scientifique travaille ainsi ? Aucun de ceux auquel Chomsky se réfère, en tout cas : ni le physicien, ni le chimiste, ni le biologiste…
    Sauf les mathématiciens je pense. Et il me semble que la mathématique a un statut scientifique très problématique. (Ce qui ne veut pas dire que c’est inutile ou pas rigoureux). Pour moi, Chomsky, construit un objet-langage qui est une pure création de l’esprit. Plus précisément de son esprit. Tout sa linguistique n’est qu’une description de la façon dont il croit lui-même parler.

    excusez-moi, c’est encore très long.
    Et le pire, c’est qu’il y aurait encore tellement à dire.
    Mais par contre, il faut que je dise ici sincèrement: je n’ai pas du tout la même formation que AL, donc cette discussion sur la formalisation me passionne, parce que justement j’ai l’habitude de rester dans le langage pour en parler. J’espère que mon ton ne choque personne, c’est la passion qui parle 🙂
    Bises tous…

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  19. Alain L. dit :

    erikantoine : là, je suis en week end à 1700 mètres d’altitude, ce que vous dites est intéressant, je « répondrai » la semaine prochaine.

    et puis il y a Minie qui monte sur mes genoux (elle a 22 mois, c’est ma petite fille)

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  20. Alain L. dit :

    si j’ai mis des guillemets à « répondre » cela voulait seulement dire: « dans la mesure où je puis répondre », bien entendu…. mais je vais répondre, et à Carole aussi.

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  21. Carole dit :

    En fait, euh… voyez-vous.. je me rends compte qu’il y avait un fond de colère en moi… c’est que, lorsque vous parlez comme ça en « spécialistes », je ne peux plus discuter avec vous… et je trouve cela …. frustrant ? injuste ? Il y avait un fond de colère mais que je ne voulais pas exprimer avec du mépris. une certaine colère, qui n’exclut pas le respect et oserais-je dire l’amitié.

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  22. Erikantoine dit :

    Tant mieux si je n’ai gâché et le we de personne et vexé personne.
    Sinon, le we à 1700 m avec Minnie, c’était bien ?
    @Carole:
    Pourquoi vous ne pourriez plus discuter avec nous ? Bien sûr que vous pouvez. Si on dit des choses qui ont trop d’implicites parce qu’on a quelques heures de lectures d’avance dans le domaine, vous pouvez toujours demander des explications. Si on arrive pas à en donner, c’est qu’on se fourvoie grave. Normalement, on devrait pouvoir expliciter. Pour ce qui est du sens, la linguistique l’étudie, mais à partir de la forme, qui est son accès spécifique aux problèmes du langage. Mais aucune investigation scientifique n’a le droit de s’arroger le monopole du discours sur le sens, car l’interprétation est en partage à tous les êtres parlant et relève donc, à un certain niveau, du politique et de l’esthétique, de la pratique critique de tout citoyen pris dans des relations sociales et institutionnel dans la cité.

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  23. Carole dit :

    @ Erikantoine : voilà quelques questions, quelques réflexions… à la suite de ce week end qui n’a pas été gâché du tout 🙂 … j’entends bien ce que vous dites ici … vous semblez opposer deux approches différentes (incompatibles ?) de la réalité : objective (science – les mécanismes) et subjective (interprétation – le sens) … le sens a à voir avec la compréhension. ce que je comprends directement avec mes sens ? ou bien avec l’aide d’une théorie ou bien les deux. Et quand il y a divorce entre les deux, un tel écart entre ce que les scientifiques explorent et ce que les gens vivent ??? … (parce que la politique, la critique « citoyenne » c’est souvent au ras des pâquerettes. .Et puis la vérité scientifique c’est assez dictatoriale, non ? on ne discute pas avoir la loi sur la gravitation ? Si ? Tout ça c’est très embrouillé pour moi. Mais voyez-vous je suis assez ignorante, enfin plus j’essaie de clarifier des choses, plus ça s’embrouille, et plus je mesure mon ignorance. Il me faudrait faire 3 ans d’histoire, 1 an de droit, 3 ans de psychologie, 2 ans de sociologie, et puis quelques stages de science de l’éducation…. pour comprendre un tout petit peu !!! vraiment ça ne me parait pas accessible au citoyen moyen… c’est que tout est devenu si complexe et si compartimenté …

    @Alain : votre blog fait sa petite vie sans vous quelques fois, c’est bon signe 🙂

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  24. alainlecomte dit :

    Ah oui, c’est bien. Continuez, continuez… je ne veux surtout pas vous déranger!

    Le week end s’est bien passé, avec Minnie avec nous. 1700 mètres c’était pour la frâicheur du corps, et Minnie c’était pour la fraîcheur de l’esprit. Mais tout a une fin, il a fallu redescendre dans la vallée et rendre Minnie à ses parents.

    J’approuve complètement erikantoine quand il dit:
    « Pour ce qui est du sens, la linguistique l’étudie, mais à partir de la forme, qui est son accès spécifique aux problèmes du langage. Mais aucune investigation scientifique n’a le droit de s’arroger le monopole du discours sur le sens, car l’interprétation est en partage à tous les êtres parlant et relève donc, à un certain niveau, du politique et de l’esthétique, de la pratique critique de tout citoyen pris dans des relations sociales et institutionnel dans la cité. »

    Cela me semble tout à fait juste.
    Dans les premiers commentaires à ce billet, j’ai essayé d’expliquer ce qu’était le positivisme. On pourrait ajouter que le positivisme pose qu’il n’est de connaissance véritable que par la science. Or, il y a d’autres voies d’accès à la connaissance, en particulier à partir de notre subjectivité. Dans le billet « aller voir ailleurs », j’ai mentionné le bouddhisme et la méditation. Il est certain que les lamas tibétains parviennent à un type de savoir qui est assez éloigné du notre. Mais le Dalai-lama n’a pas pour autant non plus discrédité la science. Au contraire, il clame à qui veut l’entendre qu’il souhaite fortement que des études scientifiques viennent corroborer l’efficacité de la méditation.
    Je ne suis donc pas « positiviste » et quand je me permets de critiquer Chomsky, c’est parce que je vois en lui certaines nuances de ce positivisme. Encore que… c’est plus ceux qui le font parler qui sont positivistes que lui-même. Sa position sur la science est très spécifique: il prétend que la science est le prolongement de notre système cognitif, et que celui-ci, comme le langage ou comme la vision, est un système biologique. A partir de là, il n’est pas sans limite, il est même borné. Il ne peut pas « voir » ce qu’il n’a pas été sélectionné pour voir (par l’évolution naturelle par exemple) . Il y a donc des choses que Chomsky relègue aux « mystères ». On peut alors lui objecter que ces mystères existent pourtant bel et bien, et sont ressentis comme tels par tout un chacun qui aimerait les éclaircir quand même… D’où la place après tout pour d’autres voies d’accès à la connaissance (la littérature, la poésie, l’art, la méditation etc.).
    Pour moi, la science est donc une voie d’accès spécifique à la connaissance, elle est sans doute la plus sûre, la plus fiable, mais elle repose sur des a priori, des barrières infranchissables. Une de ces barrières est la mise à l’écart du sujet, corrélative d’une mise à distance de ce que l’on observe. Cela a commencé avec Galilée. Contrairement à ce que laisse entendre erikantoine, la science ne traite pas de faits empiriques bruts: elle les affine et les idéalise. En faisant cela, elle laisse beaucoup d’aspects sur le bord de la route. L’expérience initiale de Galilée, concernant la chute des corps n’est possible que par une idéalisation complète de lanotion de corps (il faut éliminer les aspérités, les forces de friction, les coups de vent etc.). Encore aujourd’hui, beaucoup de gens ne croient pas qu’une bouteille en plastique pleine et une bouteille en plastique vide vont tomber d’une tour à la même vitesse… Il faut un extraordinaire effort de pensée pour en arriver là. De même, les grandes théories physiques (Einstein…) n’ont pu être empiriquement vérifiées que bien après leur conception. Ce n’est pas « en regardant les étoiles », même avec un télescope puissant, qu’on pouvait les formuler.
    Dans les sciences humaines, on pourrait s’attendre à des choses semblables, c’est-à-dire à ce que des théories apparaissent qui sont a priori assez loin des phénomènes observés mais qui, néanmoins soient vérifiables grâce aux phénomènes qu’elles prédisent. La psychanalyse,avec la révélation de l’inconscient, y ressemble, bien qu’elle ait connu beaucoup de dérives. La linguistique théorique aussi. Evidemment, cette dernière ne va pas expliquer tel ou tel détail concret d’une langue, mais elle va proposer un modèle dont les conséquences pourront être testées. Je ne suis pas un « vrai » linguiste (pour moi, un vrai linguiste est quelqu’un qui connaît plein de langues, fait « du terrain » etc.) mais les vrais linguistes… chomskyens (!) que je connais m’étonnent toujours par l’attention qu’ils portent à certains faits de langue qui échappent au parlant ordinaire. En questionnant inlassablement leur entourage (ou leurs informateurs) sur « est-ce que tu dis telle phrase? telle expression? » est-ce que pour toi, telle phrase ou telle expression a le même sens que telle autre? ils mettent à jour des faits en apparence minimes mais qui confirment ou infirment la théorie.
    Pour le reste, erikantoine, je propose que nous continuions la discussion par un autre canal. Sur le rapport aux mathématiques, par exemple, j’ai écrit un chapitre de livre bientôt à paraître que, si vous le souhaitez, je peux vous envoyer par email.
    Bien à vous tous.

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  25. Carole dit :

    Whaouuuu : c’est le vent du large ! qui chasse les nuages, et éclairci un peu l’horizon.
    des questions ? oui.. « les faits de langue qui échappent au parlant ordinaire » étaient déjà dans la psychanalyse, et la psychanalyse c’est de l’interprétation, c’est du domaine de l’art, de la méditation aussi … et puis, est-ce que l’on a un sens commun ? une compréhension est-elle possible entre des êtres très différents, un idéal ? HUMANISME ? comment les linguistes posent-ils les problèmes politiques et sociaux, sur la communication, les échanges, les relations, les conflits… par exemple je n’arrive pas à relier Chomsky-militant et Chomsky linguiste ? est-ce que ses découvertes orientent ses engagements et ses réflexions politiques ?

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  26. alainlecomte dit :

    je n’avais pas prévu que les faits de langue de la linguistique se télescoperaient avec ceux de la psychanalyse… Linguistique et psychanalyse sont bien sûr deux angles d’approche du langage bien différents (bien que la psychanalyse, en particulier lacanienne, ait voulu, à certains moments, s’appuyer sur la linguistique). Le linguiste se contente d’observer des formes matérielles d’énoncés partagés par une petite communauté, alors que le psychanalyste s’intéresse au fait de langue (comme le lapsus) en tant que révélateur d’un inconscient particulier.
    Si on suivait Chomsky à la lettre dans sa distinction entre E-language et I-language, qui aboutit à une différenciation extrême de la langue jusqu’à faire de chacun de nous le porteur de son propre dialecte, certainement, il faudrait poser le problème du rapport avec l’inconscient. Mais il semble que Chomsky ne soit pas sur cette voie ! (ce que je déplore). Pour ce qui est du Chomsky-militant vs le Chomsky-linguiste, oui, c’est la grande question… La position « officielle » est de dire qu’il n’y a pas de rapport. En y réfléchissant, ce n’est pas mon avis: il y a bel et bien un rapport! Il réside dans la manière dont Chomsky voit le fonctionnement de l’esprit humain. Pour lui, le sujet est libre: si les structures du capitalisme n’étaient pas là, il s’exprimerait librement et ce serait l’harmonie parfaite. Cette liberté du sujet a son pendant dans le langage où, là aussi, le sujet parlant est supposé être libre: tout sujet peut produire ou interpréter un nouvel énoncé qu’il n’a jamais lu auparavant. La « créativité du langage  » est le modèle à travers lequel il conçoit son idéologie politique (un libertarisme de gauche). Je vais faire un billet là-dessus bientôt… en faisant ce qui ‘a jamais été fait à ma connaissance… comparer deux penseurs qui se réclament d’une philosophie de l’émancipation: Rancière et Chomsky!

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  27. erikantoine dit :

    @ AL: Merci d’avoir pris le temps de cette longue réponse. Effectivement, je crois que la discussion devrait peut-être finir par user d’autres canaux, parce qu’à défaut d’expliciter longuement tous nos présupposés, je crains qu’on ne cultive l’incompréhension. Il est vrai, que comme le dit Culioli, la compréhension n’est qu’un cas particulier du malentendu :-), ce que l’on constate amplement tous les jours, et davantage encore sur internet.
    Juste pour préciser:
    « Contrairement à ce que laisse entendre erikantoine, la science ne traite pas de faits empiriques bruts »
    je n’ai jamais dit ça, ni laissé entendre, sauf à mon corps défendant, vu que ce n’est pas ce que je crois.

    La discussion nous fige malheureusement dans des positions qui peuvent s’éloigner de plus en plus de nos partis pris réels. Par exemple, vous vous retrouvez à défendre chomsky bec et ongle, parce que je l’attaque violemment. Or je ne crois pas que tous les linguistes chomskyens fassent de la mauvaise linguistique, même si ce n’est pas ma tasse de thé. Et je ne crois pas que vous preniez tout chomsky en bloc.
    Mes critiques se concentrent, comme je l’ai plusieurs fois mentionné, sur chomsky lui-même, tel que j’ai compris ses conférences et fait l’expérience de son passage à Paris.
    Pour résumer: je trouve qu’on peut critiquer les fondements épistémologiques de la linguistique de Chomsky, et je suis surpris que toute confrontation critique sérieuse ait été à peu près évacuée de sa venue et de beaucoup de comptes-rendus, comme vous l’avez vous-même observé. Je voulais juste signaler que d’autres courants existent en linguistique et qu’ils ne sont pas forcément moins scientifiques.
    J’avoue d’ailleurs que je suis assez surpris de lire sur votre blog à la fois un enthousiasme aussi grand pour chomsky et pour varela : le computationnalisme et l’énaction, c’est super éloigné, non, comme modèles cognitivistes ? Mais d’un autre côté, pas si surpris, puisque c’est ce qui fait la richesse de ce blog, que je suis bien content d’avoir découvert.
    Merci donc pour la découverte et sinon, je suis tout à fait dispo pour une conversation autrement sur le sujet….

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  28. erikantoine dit :

    @ Carole
    « “les faits de langue qui échappent au parlant ordinaire” étaient déjà dans la psychanalyse »
    à mon avis, la psychanalyse s’intéresse davantage aux faits de parole qu’aux faits de langue. Le psychanalyste, dans la cure, travaille sur des événements énonciatifs, et « l’interprétation » consiste à faire entendre au sujet analysant le moment où il a dit quelque chose d’une certaine façon, remarquable en ce qu’elle signe chez lui quelque chose, qu’il n’entend pas en l’énonçant, mais qui insiste chez lui.
    L’approche de la linguistique et l’apprche psychanalytique diffèrent beaucoup, mais il existe pleins de rapprochements, il y a même une revue:
    http://www.fabula.org/actualites/article13649.php
    depuis 2006, qui s’appelle langage et inconscient.
    Michel Arrivé est un linguiste bien connu pour son intérêt pour la psychanalyse:
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Arriv%C3%A9
    Anecdotes amusantes: Freud et Saussure étaient des contemporains qui s’ignoraient. Pourtant, un des fils de Saussure, Raymond, est devenu psychanalyste et a même été analysé par Freud. Mais Saussure n’a pas pris connaissance des travaux de Freud, semble-t-il et Freud prend comme référence en linguistique plutôt des linguistes allemands, comme Delbrück. Un des éditeurs du Cours de linguistique générale, Albert Sechehaye fut professeur de linguistique à Genève et était marié à Marguerite Sechehaye, psychologue et psychanalyste Suisse, célèbre pour son Journal d’une schizophrène. Celle-ci, étudiante, avait suivi les cours de Saussure et ses notes ont, en partie servie à son mari et Charle Bally pour éditer le cours du maître.
    En 2009 est sortie un premier tome d’une biographie psychanalytique de Saussure.

    Un des maîtres de Lacan et Françoise Dolto fut édouard Pichon, nationaliste dreyfusard, membre de l’action française, un des fondateurs de la Société Psychanalytique de Paris, introducteur de la psychanalyse en france, pédiatre et accessoirement linguiste amateur, auteur avec son oncle Jacques Damourette d’une monumentale grammaire du français en 7 tomes:
    http://www.vrin.fr/html/main.htm?action=loadbook&isbn=2711691993

    c’est marrant non ?

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  29. erikantoine dit :

    carole a dit:
    « vous semblez opposer deux approches différentes (incompatibles ?) de la réalité : objective (science – les mécanismes) et subjective (interprétation – le sens) … le sens a à voir avec la compréhension. ce que je comprends directement avec mes sens ? ou bien avec l’aide d’une théorie ou bien les deux.  »

    Je n’oppose pas une approche à une autre de cette manière objective / subjective.
    Ce que je cherchais à mettre en évidence, c’est que le générativisme est UNE des théories qui a cours en linguistique. Les autres courants développent des théories sur des hypothèses de départ qui sont autres. Mais elle se veulent tout aussi scientifique et « objective ». Les courants fonctionnalistes en linguistique sont des écoles scientifiques. Elles développent des procédés d’enquêtes, recueillent des données, publient leurs résultats, qui peuvent être vérifiés etc.
    De toute façon, le problème de l’objectivité en linguistique n’est pas une mince affaire, puisque la linguistique est l’étude scientifique du langage et des langues, alors que bien sûr, tout chercheur est lui-même un être parlant, qui écrit et parle dans une certaine langue.
    Beaucoup de réflexions épistémologiques existent sur l’enquête en linguistique (Philippe Blanchet, la linguistique de terrain, Presses Universitaire de Rennes), la question du corpus, la manipulation des données etc.
    Il existe un Que sais-je de Claude Hagège, « la structure des langues » qui est très bien fait et qui montre la complexité de l’objet langue.
    Les générativistes ont tendance à faire commencer « la linguistique moderne » dans les années 50, début de la réflexion de Chomsky sur les structures syntaxiques. Mais il faut savoir que ce n’est pas le cas en Europe où on fait la plupart du temps remonter l’établissement de la linguistique moderne à F. de Saussure. Or toute la réflexion de Saussure est une reflexion sur qu’est-ce faire l’étude scientifique du langage et des langues.
    Depuis le début du 20e (c’est ce que souligne Hagège dans son que-sais-je) on a fait valoir que le langage est un objet d’étude excessivement complexe, car il a plusieurs facettes: un versant mental-cognitif (la nature du signe chez saussure est d’ailleurs psychique), un versant social-culturel (les langues sont parlées dans des communautés linguistiques par des êtres humains, en général, socialisés, elles vivent et sont traversées par le social), et un versant symbolico-sémantique (les langues sont des systèmes symboliques. Pour Cassirer, ce sont mêmes les systèmes symboliques primitifs). On peut se placer sur chacun de ces plans pour faire l’étude du langage, le mieux (et le plus difficile) étant de les combiner. Chomsky n’a eu de cesse de les ramener à leur versant cognitif, en leur donnant comme nature un modèle très spécial: les systèmes de computation. Ce faisant, il réduit considérablement la vision de l’objet d’étude, mais d’une manière telle, que, à mon avis, il le dénature complètement, et ce n’est pas seulement une ‘idéalisation’ ou une approximation scientifique. Mais, comme le dit AL, « pour moi, un vrai linguiste est quelqu’un qui connaît plein de langues, fait “du terrain” etc. », ce que ne fait pas Chomsky (je ne parle pas de ses disciples en France). Pas en tout cas quand il a accompli sa « révolution cognitive » sponsorisée par l’armée américaine.

    Cliquer pour accéder à decoding-chomsky-european-review.pdf

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  30. erikantoine dit :

    carole a dit:  » le sens a à voir avec la compréhension. ce que je comprends directement avec mes sens ? ou bien avec l’aide d’une théorie ou bien les deux.  »
    Et je dirai les deux. En fait, il me semble que toute compréhension qu’un être humain puisse avoir du monde passe par une théorie. Même ‘naïve’, même fausse d’un point de vue de la science dure. En fait toute perception par les sens (qui est le seul contact avec le monde que nous puissions avoir) est élaboré en représentations.
    Je crois que c’est le principe de la théorie de l’énaction. Une théorie cognitive qui cherche à ne pas reconduire la coupure de descartes entre esprit et corps.
    http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89naction

    sur cette fasciante question du rapport entre nos sens (et en particulier nos mains), notre rapport au monde des objets et notre compréhension, notre capacité d’action et d’imagination, le livre de Matthew Crawford « éloge du carburateur », sorti récemment aux éditions La Découverte est une réflexion passionnante que je suis en train de lire en ce moment.
    http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-_loge_du_carburateur-9782707160065.html
    http://www.matthewbcrawford.com/

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  31. alainlecomte dit :

    Ah oui, mais là non, je ne peux pas accepter! c’est trop facile! ressortir le fait qu’en 1957, l’un des premiers papiers de Chomsky avait pu être publié grâce à un contrat avec l’armée…. A ce compte là, on peut dire n’importe quoi sur n’importe qui. Il se trouve u’aux Etats-Unis comme dans tout pays, la science a besoin de fonds et qu’il y a en général assez peu de sources de subventions. En France, on a(vait) le CNRS, ce qui peut nous ermettre de nous draper dans notre dignité… encore que nul ne sait ce que deviennent ensuite les recherches (Evidemment que l’armée utilise les trouvailles des chercheurs). Aux Etats-Unis presque toute la recherche publique est financée par des organisations qui dépendent de l’armée (DARPA etc.). La vraie question est celle de savoir ce que l’on fait ensuite de cette recherche. On peut ici inverser le rapport Chomsky-armée et dire que l’armée US n’avait pas prévu le rôle ultérieur de Chomsky dans la lutte contre la guerre au Vietnam ou aujourd’hui contre l’engagement en Irak.

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  32. alainlecomte dit :

    Non, la théorie de l’énaction, ce n’est pas tout à fait ça. Varéla se passe de la notion de représentation, justement. Le système nerveux central envoie des impulsions en permanence vers l’extérieur et le réel externe modifie ces impulsions, sans qu’il y ait besoin de passer par un stade représentationnel.

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  33. erikantoine dit :

    « Ah oui, mais là non, je ne peux pas accepter! c’est trop facile! ressortir le fait qu’en 1957, l’un des premiers papiers de Chomsky avait pu être publié grâce à un contrat avec l’armée….  »
    A ma connaissance, c’est pas un mais plutôt trois, dont deux qui sont justement le point de départ de la révolution chomskyenne.

    Chomsky, 1957 (trad. Seuil 1969) Structures syntaxiques, Mouton, La Haye. 135 pages
    Point Seuil p. 9 Préface :
    Ce travail a été financé en partie par l’U.S. Army (Signal Corps), l’Air Force (Office of Scientific Research, Air Research and Development Command) et la Navy (Office of Naval Research) ; et en partie par la National Science Foundation et la Eastman Kodak Corporation.
    Noam Chomsky, MIT, Cambridge, 1er Août 1956

    Noam Chomsky, 1965, Aspect of the Theory of Syntax, MIT Press, Cambridge Mass.
    p. IV:
    Acknowledgment
    This is Special Technical Report Number 11 of the Research Laboratory of Electronics of the Massachusetts Institute of Technology.
    The Research Laboratory of Electronics is an interdepartemental laboratory in which faculty members and graduate student from numerous academic departments conduct research.
    The research reported in this document was made possible in part by support extended the Massachusetts Institute of Technology, Research Laboratory of Electronics, by the JOINT SERVICES ELECTRONICS PROGRAMS (U.S. Army, U. S. Navy, and U.S. Air Force) under Contract N° DA36-039-AMC-03200 (E); additional support was received from the U.S. Air Force (Electronic Systems Division under Contract AF19(628)-2487), the National Science Foundation (Grant-2495), the National Institutes of Health (Grant MH-04737-04), and The National Aeronautics and Space Administration (Grant NsG-496).
    Library of Congress Catalog Card Number : 65-19080
    cote BNF: 8-V-70670(11)

    Noam Chomsky, 1970, “Remarks on Nominalizations”, in: Studies on Semantics in Generative Grammar, Mouton, The Hague/Paris/New York, p. 11-61
    p. 11 note:
    This work was supported in part by the U.S. Air Force [ESD Contract AF19(628)-2487] and the National Institutes of Health (Grant MH-13390-01).

    Il est assez admis, me semble-t-il, que la « révolution cognitive » s’est faite en partie avec des fonds de l’armée. Que la chose est échappée, dans sa complexité, aux commanditaires, sans doute. C’est comme internet, dans une certaine mesure.
    Pourquoi chercher à l’occulter ? C’est une question qui a été souvent posée de l’origine du modèle du langage proposé par Chomsky, origine qui aurait pu influer sur le type de modèle recherché. C’est que suggère C. Knight dans l’article cité.
    Après, que la complexité de l’objet-langage ait mis en échec l’hypothèse d’en rendre compte par le premier état de la théorie, et que Chomsky lui-même ait évolué, sans doute.
    Par ailleurs, ça n’enlève rien à l’activisme politique de Chomsky, qui a passé une nuit en cellule avec Norman Mailer (cf. Barsky) et qui a été un des intellectuels grands opposants à la guerre du Vietnam.
    Castoriadis ne cache pas qu’il a été économiste à l’OCDE, ce qui n’est pas précisément le lieu où on s’attend à trouver un révolutionnaire marxiste, et actuellement, Paul Jorion ne cherche pas à cacher qu’il a été trader (voir ‘le temps qu’il fait’ d’hier sur son blog).
    Ce qui fait énigme dans le cas de Chomsky c’est qu’il se réclame de l’anarchisme. C’est pour ça que les critiques posent des questions sur ces liens avec les fonds de l’armée.
    Je ne comprends pas cette phrase:
    « A ce compte là, on peut dire n’importe quoi sur n’importe qui. »
    Pour la suite, j’avoue avoir du mal à suivre votre raisonnement. La provenance des crédits de la recherche est indifférente, vous pensez ?

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  34. alainlecomte dit :

    cela veut dire que quand on veut démolir un individu, on peut toujours le faire, en allant chercher dans un passé lointain s’il le faut. Les fonds de l’armée en question n’ont eu aucun effet sur l’évolution de la pensée chomskyenne. C’est comme si l’on disait que le fait qu’Internet ait été inventé dans le cadre d’un contrat avec l’armée influait sur la manière actuelle dont nous dialoguons. Bien sûr que la provenance des crédits n’est pas indifférente…. mais, vous, vous travaillez sans aucun financement? personnellement, je suis heureux de trouver quelque mécène… L’essentiel étant qu’il ne guide à aucun moment mon programme de recherche. Vous semblez vouer une haine farouche à Chomsky… attention de ne pas virer à la monomanie! Oubliez le un peu, SVP!

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