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Un gros PDG au style poussif, suant et maladroit. Une société de télécommunications. Que dit le gros PDG poussif ? qu’il faut mettre fin à « ce phénomène de contagion ». Non, ce n’est pas de la grippe A H1N1 qu’il s’agit, mais d’une vingtaine de suicides dans son entreprise. Qu’il faut enrayer cette « mode » du suicide. Allons tu viens pour un petit suicide ? c’est tendance en ce moment.

La honte.

Mais attention, on vous l’a assez dit et on vous le répète sans arrêt (« en boucle » comme ils disent, à la radio) : il y a toujours des causes multiples à un suicide. Pardi, telle défenestrée avait sûrement aussi un chagrin d’amour et tel poignardé des problèmes avec sa conjointe… Voyons c’est tellement plus simple. Quant au gros PDG, lui, qu’est-ce qu’il dit ? que malheureusement, ces gens étaient fragiles, pensez : ils avaient encore une « culture administrative » !!! On croit à un cauchemar. Le gros PDG vit, lui.

Des causes toujours multiples à un suicide ? Bien sûr, comme pour tout comportement humain, toute action, toute décision… mais parmi toutes ces causes, parfois il y en a une, une seule, qui est déclenchante. Les conditions inhumaines de travail sont des causes « déclenchantes »… ça vous va mieux ? ça change quelque chose au fait de dire simplement que ce sont des causes ?

Etrange télescopage : le même soir, sur France 2, une fresque spectaculaire sur la seconde guerre mondiale. Hitler reprochait à ses généraux de « ne rien connaître à la guerre économique ». Le général Krouchtchev n’hésitait pas à faire fusiller 15 000 de ses hommes parce qu’il les jugeait trop mous, afin de servir d’exemple et de renforcer la détermination des troupes de l’Armée rouge face aux nazis. Mais c’était la guerre. La guerre. D’où me vient un tel rapprochement (sans doute « indécent »), l’aurais-je fait si les « capitaines » d’industrie et les gros PDG suants n’avaient eux-mêmes sans cesse à la bouche un vocabulaire guerrier ?

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10 commentaires pour mode

  1. L’inconscience (au sens freudien du terme) de certains propos fait froid dans le dos.

    Pour moins que cela, si l’honneur n’était pas écrasé sous les avantages de la carrière, ce genre de « dérapage » aurait provoqué la démission immédiate – mais Hortefeux a montré qu’il n’était pas besoin de s’excuser du moment que l’on était dans son bon droit, ou sa bonne droite – de l’émetteur d’une telle phrase.

    Quant au rapprochement avec le documentaire d’hier soir (j’ai regardé malgré ma prévention contre les images colorisées pour attirer, croit-on, l’audience « des jeunes »), il n’est pas tiré par les cheveux.

    La « guerre économique » vaut-elle seulement ces sacrifices humains chez FT, Renault ou ailleurs ? En 1917, l’Histoire nous rapporte que des soldats ont mis « crosse en l’air » (vous connaissez « Les Sentiers de la gloire » de Kubrick).

    Les salariés sont « aussi » des êtres humains, capables de révolte.

    Merci pour ce billet qui n’est pas à ordre.

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  2. michèle dit :

    >Alain L. je l’ai vécu ce burn-out sans aller jusqu’au suicide. cela aurait pu. Le pire c’est de ne pas être crue. On ne vous demande pas d’ailleurs de parler. D’être jugée coupable alors que l’on est totalement innocent. Puis niée dans on identité. Cela s’apparente à un massacre à un délitement en milliers de morceaux. J’en retiens un amour pour les tesselles de Gaudi, pour les mosaïques de piazza Armerina, et les fibres tressées. J’en ai gardé une fragilité qui m’appartient, une lenteur certaine dont je ne suis pas encore débarrassée, et un goût immodéré des chemins de crête et des constellations. J’y a

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  3. michèle dit :

    Je n’attends ni mansuétude, ni bichonnage ; simplement c’est bon de pouvoir le dire à « des » qui ne s’empressent pas de dire je ne veux pas savoir.
    Lorsque j’ai pu reprendre mon travail, au bout d’une longue traversée des Enfers, et de manière concommittante du désert, un médecin du travail m’a donné rendez-vous, à 115 km de chez moi, à 10 heures. Je l’attends encore. Ni explications, ni excuses, rien. Sa collègue, gênée, ne connaissant pas mon histoire, a alors décidé après ma longue attente et au vu des kilomètres parcourus, de me recevoir. Aprsè m’avoir spécifié les précautions d’usage, elle n’était pas chargée de mon département, elle ne me connaissait pas etc, elle a passé, montre en main, une heure à me démontrer comment je pouvais m’inscrire à la M.d. T. H maison des travailleurs handicapés, me faire désigner un pourcentage de handicap par la Cotorep qui me donnerait droit à une invalidité et une somme mensuelle d’invalidation m’éloignant définitivement du monde du travail.
    En rentrant chez moi, j’étais enragée : la colère sait être salvatrice. J’ai repris mon boulot cinq mois après près cinq lettres recommandés avec accusés de réception, à temps partiel thérapeutique. J’ai droit encore à peu de mois, trois, puis je reprends à plein : ma machine à moi est encore grippée, ne tourne pas à plein régime, je zappe plein de trucs. Mon enthousiasme, en rien n’a été terni ; je suis simplement décalée. Mais qui veut voyager loin ménage sa monture.

    La société dans laquelle nous vivons me dégoûte : frénésie sexuelle, quid de l’amour ?, culte de l’argent, quid de ce qui dure ?, consumérisme à outrance, quid du partage des richesses avec le Tiers-monde ?

    L’espèce d’autarcie dans laquelle je me réfugie me convient, choix drastique des quelques fenêtres qui me conviennent qui restent ouvertes sur le monde.

    Se suicider dans le cadre de son travail je trouve cela catastrophique et annonciateur de bien des noirceurs.

    Que ce monsieur se mette au même rang que la directrice de Vogue et du Diable s’habille en Prada en dit long sur le peu d’humanité qui règne dans ce monde de compétiteurs.

    Merci Alain Lecomte de cette liberté d’expression que je trouve chez vous, et bonne journée à vous.

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  4. Dunia dit :

    Hier soir j’ai regardé un documentaire sur le stress diffusé à la Télévision Suisse Romande.

    Il faudrait que j’en fasse un billet. Malheureusement ce genre de sujet et son développement, demande un temps d’écriture que je n’ai pas en ce moment.

    Ce que j’ai retenu: chez les êtres humains comme chez les animaux étudiés, en l’occurrence des babouins et des rats, le stress et les maladies qui en découlent telles que l’hyper-tension, les problèmes cardiaques, l’obésité, les pertes de mémoire, la dépression, les déficiences immunitaires, le diabète et le cholestérol donc au final la mort prématurée des individus, sont directement liés à la position qu’on occupe dans la société.

    Les classes supérieures, donc dominantes, ne souffrent ni du stress et ni de ses maladies contrairement aux classes subalternes donc dominées. Remarquez: je m’en doutais, d’où mon énervement chaque fois qu’on parle de relever l’âge de la retraite qui est toujours décidé par les mêmes, ceux qui ont le popotin posé derrière un bureau au haut de l’échelle sociale. Mais c’est agréable de savoir que la science le prouve.

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  5. jmph dit :

    Pendant les 15 ans où j’ai travaillé dans une grosse firme pharmaceutique, je me suis toujours demandé à partir de quand on pouvait, ou il fallait, dire « Non » ou « Stop » ou « Il faut réfléchir » ? Je ne pouvais m’empêcher de penser à Papon dont la base du système de défense était de dire qu’il ne faisait qu’obéir au ordres, en « bon fonctionnaire » qu’il voulait être.
    Pendant les 10 premières années, je ne me suis jamais senti au bord de la rupture. A partir du milieu des années 90, au moment où la financiarisation du capitalisme est devenu la règle absolue, où les bonus sont apparus chez les cadres (je ne parle pas des traders, mais du cadre supérieur lamda, sans qu’il soit dirigeant), j’ai constaté que la plupart se couchait pour un plat de lentilles. Les autres ne se suicidaient pas : soit ils partaient à la faveur d’un plan de restructuration (qui était financièrement acceptable, l’industrie pharmaceutique est riche), soit ils disparaissaient doucement en longue maladie… Je voulais choisir le départ avec un « package », mais mon corps et ma santé ont flanché peu de temps avant !

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  6. Alain L. dit :

    Merci de vos témoignages et commentaires.
    Dunia: je pense qu’il ne faut pas être « mécaniste » dans le raisonnement social: il n’y a pas que les prolétaires qui ont des maladies liées au stress, les exemples de Michele et de jmph sont là pour en témoigner. Je peux aussi témoigner que l’infarctus, maladie typiquement liée au stress, frappe les couches intellectuelles… A propos de la Suisse, si tu permets, j’ai plutôt le sentiment que c’est moins l’inégalité devant la maladie qui est en cause que l’inégalité devant les soins apportés (dans un système d’assurances libérales etc.).
    Je vais revenir sur ce blog sur la question du suicide au travail car je viens de lire un petit livre très intéressant sur le sujet, de Christophe Dejours et Florence Bègue (« Suicide et travail:que faire? », aux éditions PUF) et j’ai envie d’en parler. Bonne nuit à tous (il est 4h).

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  7. michèle dit :

    Ce sujet m’obsède, mais avec distance, grands dieux, merci. Sur France-Culture, cet aprem. écouté un début d’émission très intéressant : Sarko montant sur ses grands chevaux et disant, faut arrêter de raisonner en termes de chiffres !!! Non je n’ai pas rêvé ; puis une expliquant le lien entre l’affaiblissement des tissus solidaires (dont les syndicats) et la solitude des travailleurs de fond. Là, où il y avait grève, manif, tracts etc. il y a aujourd’hui abandonnement collectif car chacun surveille son, à lui, c’est mon mien, plat de lentilles (bel exemple) d’où un isolement drastique menant aux pires extrémités. Mais avant France Télécom, y’a eu Renault. Moi ce qui m’intéresse (ne vous moquez pas, je vous prie) c’est la comparaison avec les ronds-points : il faut cinq morts pour que la D.D.E songe à faire construire un rond-point. Ce sont dans l’ensemble des assassinés par autrui. 23 pour que l’on décide de jeter un oeil (mais est-ce le bon ?) sur ce malaise au sein des entreprises. Le boulot est donc, aujourd’hui, plus meurtrier que la route.
    De cela, je garde 1/ une expérience de vie richissime, j’ai rencontré des gens incroyables et 2/ une fêlure, comme sur une tasse de porcelaine fine servant à boire le thé. Avant, je ne me savais pas délicate, maintenant, je le sais ; mais je ne puis éviter un sentiment d’empathie envers ceux qui ont plongé sans la remontée salvatrice.

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  8. alainlecomte dit :

    oui, michele, vous avez raison. Le livre de C. Dejours et F. Bègue (que je vous recommande) pointe du doigt les horreurs de la solitude : un salarié est victime de harcèlement, tout le monde le voit, le sait, et quand le salarié demande de témoigner, il n’y a personne. Résultat chacun est seul et c’est là que les gens plongent. Je pense que dans l’enseignement secondaire (lycée, collège), c’est la même chose, chacun veut être bien vu de son proviseur et chaque proviseur veut être bien noté, résultat: motus et bouche cousue. C’est l’indifférence et la solitude qui tuent.

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  9. jmph dit :

    Je reviens sur ton billet qui me fait réagir pour une autre raison ; tu insistes beaucoup sur l’aspect physique de Didier Lombard, « gros », « poussif », « suant » etc…
    S »il y a une dérive qui m »incommode beaucoup en ce moment, ce sont les commentaires sur le physique des politiques ou de différents acteurs économiques. Parfois, cela frise le délit de faciès…
    Je suis en train de rédiger un billet sur ce sujet.

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  10. Alain L dit :

    un gros PDG au style poussif, suant et maladroit, ai-je dit. Sans doute si ce monsieur était un quidam quelconque rencontré dans la rue, je ne me permettrais en aucune manière de dire qu’il est « gros ». ici « gros PDG » va avec la fonction de PDG… Un petit président n’est pas (forcément) un président petit…
    Que le style soit poussif, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le dire. Quant à « suant et maladroit », eh bien oui, aussi, dans la circonstance, il était « suant et maladroit » (et non par essence), ce qui en général est associé à l’idée que l’individu en question est mal à l’aise, a donc sans doute quleque chose à se reprocher, mais qu’il n’avoue pas, afin de ne pas perdre la face, de ne pas non plus faillir à sa fonction de PDG….

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