Vous avez dit « républicain » ?

restablet.1237482486.JPGbaudelot.1237482464.jpgChristian Baudelot et Roger Establet sont deux sociologues spécialistes de l’école qui font mouche à chacun de leurs ouvrages, depuis le premier, « L’Ecole Capitaliste en France », ecole_capitaliste_france_c_baudelot.1237482534.JPGqui assénait un bon coup aux idéalistes qui s’imaginaient encore que l’école française était celle de l’égalité des chances, jusqu’au dernier, « L’élitisme républicain » , portant en sous-titre « L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales », paru très récemment dans la collection « La République des Idées » au Seuil, et qui enfonce le clou : non, malgré toutes les proclamations de républicanisme, notre école n’est pas égalitaire, loin s’en faut et… disons-le carrément : elle est une des plus mauvaises parmi les pays comparables de l’OCDE.

Entre temps, il y avait eu « Le niveau monte », livre écrit afin de démentir cette antienne qui court toujours concernant un « niveau » qui n’en finirait pas de descendre, et surtout « Allez les filles ! » écrit en forme d’encouragement aux élèves de sexe féminin dont le taux de réussite scolaire est meilleur, dans l’ensemble, que celui des garçons (même à l’Université) et qui pourtant… se trouvent toujours destinées aux mêmes orientations (occupation des enfants, école primaire, métiers du social) alors que leurs compétences allez-les-filles.1237482552.pngdevraient leur ouvrir les portes de toutes les branches où sont censés s’illustrer leurs camarades masculins.elitisme.1237482506.jpg

Le dernier ouvrage des deux compères sociologues remet quelques idées à leur place :

il est faux de croire qu’il est possible de dégager « une élite » en laissant à leur triste sort la masse des rejetés du système : les chiffres de l’enquête PISA le montrent, « l’élite est bonne quand la masse n’est pas mauvaise ». Les courbes sont parlantes : dans un graphique représentant chaque pays par deux coordonnées, l’une, verticale, portant la proportion d’élèves très forts, l’autre horizontale, portant le pourcentage d’élèves très faibles, on a, en haut à gauche : Corée du Sud, Finlande, Suisse, Belgique, Pays-Bas (proportion d’élèves très forts élevée, mais proportion d’élèves très faibles basse), en bas à droite : Italie, Grèce, Turquie, Mexique. La France est au milieu (donc : peut mieux faire…).

Il est vain de croire dans les vertus du redoublement. En ce domaine, la France détient le record. Or, les pays qui ont les meilleurs résultats à l’enquête (Corée, Japon, Islande) n’ont quasiment pas de redoublement. C’est le redoublement à haute dose qui, semble-t-il, plombe le système français du point de vue de ses résultats globaux : les redoublants s’améliorent en effet très peu, en général.

La France n’est pas le pays de l’égalité réalisée par l’école, où celle-ci compenserait les inégalités de départ dues aux inévitables différences de « capital culturel » familial. Au contraire, il y a moins d’écart de réussite scolaire entre un fils d’ouvrier et un fils de cadre japonais, suédois ou sud-coréen, qu’en France entre un enfant de cadre intellectuel et un enfant d’ouvrier. La France serait ainsi « le paradis de la prédestination sociale ».

Il est faux que « les enfants d’immigrés feraient baisser le niveau ». « Il n’existe pas de corrélation positive entre les proportions d’élèves issus de l’immigration et l’ampleur des écarts de performance entre eux et les élèves autochtones ». « pas de relation statistique significative entre le pourcentage d’autochtones et les performances moyennes de chaque pays en compréhension de l’écrit, en mathématiques ou en culture scientifique ».

« L’école française, concluent Baudelot et Establet, est trop et trop tôt sélective. Elle demeure au XXIème siècle otage des idées qui l’ont vue naître à la fin du XIXème : distinguer une petite élite sans se soucier d’élever significativement le niveau des autres. Pour certains, peu nombreux, la méritocratie scolaire est une course aux meilleures positions ; pour d’autres, très nombreux, elle se traduit par une relégation rapide et désormais particulièrement coûteuse sur le marché du travail ».

Or, cette manière de penser s’est vue affublée d’un nom : « élitisme républicain », comme si la seule vertu d’un qualificatif allait métamorphoser une idéologie néfaste en quelque chose de bon !
La brochure des deux sociologues rejoint dans sa conclusion l’article publié dans « le Monde » du 10 mars (« les 16-25 ans, génération qui a perdu foi en l’avenir ») qui faisait état d’un rapport fourni par un autre sociologue, Olivier Galland, selon qui :

« Toutes les enquêtes montrent que la jeunesse française va mal. Les jeunes Français sont les plus pessimistes de tous les Européens. Ils n’ont confiance ni dans les autres, ni dans la société. Ils apparaissent repliés sur leur classe d’âge et fatalistes. ».

Dans les deux cas, les causes du malaise sont identifiées :

« le modèle méritocratique ne fonctionne plus dans une école de masse qui doit gérer des talents et des aspirations scolaires de plus en plus diverses. L’obsession du classement scolaire, qui est à la base de l’élitisme républicain, la vision dichotomique de la réussite qui sépare les vainqueurs et les vaincus de la sélection scolaire, mais également la faillite de l’orientation, aboutissent à un système qui élimine plutôt que de promouvoir le plus grand nombre », dit O. Galland.

« Disons-le d’emblée, disent Baudelot et Establet, la plupart des problèmes identifiés par cet exercice de comparaison à grande échelle pointent un même ensemble de causes : l’élitisme républicain de notre école, sa culture du classement et de l’élimination précoce, sa tolérance aux inégalités et à leur reproduction. »

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6 commentaires pour Vous avez dit « républicain » ?

  1. Enfin formulé clairement notre rapport à l’élitisme. Formatage si intense que lorsqu’on sort de ce système on ne cherche qu’à l’entretenir et à le reproduire.

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  2. michèle dit :

    Oui, nous avons grandes difficultés à transmettre une éthique certaine : tout le contredit autour de nous ; en premier le culte de l’argent (parallèle à celui du pouvoir).
    Un de mes questionnements permanents tourne autour du faible impact de Célestin Freinet sur notre art de la pédagogie : il était si moderne et si hors-normes et sa sauce n’a pas pris, ceci à mon plus grand dam ! Avancer chacun à son rythme, dans une belle solidarité, rendre l’enfant acteur de ses apprentissages.
    L’élitisme qui point ajourd’hui, très clairement, nous montre que l’élite se reproduit, annihilant les effets de ce qui se nommait l’ascenseur social. Plus que jamais les strates sont cloisonnées, et les écarts entre elles se creusent.

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  3. celeste dit :

    Comme c’est bon de lire ce texte!

    « L’école française, concluent Baudelot et Establet, est trop et trop tôt sélective. Elle demeure au XXIème siècle otage des idées qui l’ont vue naître à la fin du XIXème : distinguer une petite élite sans se soucier d’élever significativement le niveau des autres. »

    c’est tout à fait ça!

    L’Italie est vraiment très mal placée, pourtant jusque là le redoublement n’existait pratiquement pas.

    comme Michèle je déplore la quasi disparition des écoles Freinet

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  4. Alain dit :

    Merci pour ces commentaires. J’ai en partie répondu sur le blog de céleste:
    http://www.celestissima.org/histoire-jupe/#comments
    mais je reprends ici une partie de ma réponse:

    En ce qui concerne les méthodes et en particulier Freinet, je connais un peu puisque dans ma lointaine enfance j’ai eu l’occasion d’être élève d’une classe suivant cette méthode (en 1958!). Je peux témoigner que cette méthode est très compatible avec l’élitisme, d’ailleurs mon instit était très élitiste, bien sûr comme j’étais bon élève je n’avais pas de problème etje l’appréciais beaucoup, mais ce n’est pas une méthode foncièrement “émancipatrice” au sens où l’entendrait Rancière par exemple (à qui je vais consacrer mon prochain billet). La question de l’enseignement en France depuis des décennies se pose toujours en termes de “former les élites dont la nation a besoin”, ce qui est bafouer les intérêts et la dignité des gens du peuple qui ne seront jamais sélectionnés parmi les élites. Je pense que ce qui est fondamentalement en cause c’est cette idéologie, à laquelle malheureusement adhèrent une majorité d’enseignants, surtout du secondaire. J’ai quelques ami(e)s dans l’enseignement secondaire, amies surtout, je suis sidéré de voir souvent leur soumission à l’autorité que représentent le proviseur ou bien les fameuses “directives”, par exemple celles qui enjoignent de noter les élèves de telle et telle manière (au moins trois idées par dissertation, noter la ponctuation etc.). En même temps, ces ami(e)s sont attaché(e)s à leur institution: hors de question par exemple d’envisager une décentralisation de l’éducation nationale, la dépendance par rapport à l’Etat leur apparaît comme un dogme hors duquel il n’y auarit point de salut. tant que les éducateurs raisonneront de cette façon, avec un tel asservissement volontaire, je pense qu’il n’y aura pas de progrès, et les « méthodes » n’y changeront pas grand chose.

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  5. Carole dit :

    mon fils est scolarisé au collège en 3ème. Fin du 2ème trimestre, rdv avec la prof principale : elle le jette littéralement, devant lui, devant moi : elle le condamne. Le redoublement ne servira à rien. pas de résultats suffisant pour la seconde : reste… le cap !
    Rage, révolte, sentiment d’impuissance. Rémi, est intelligent, il est rêveur et il a un très fort caractère, une grande indépendance d’esprit. les contraintes de rentabilité immédiate appliquée à l’éducation lui ont fait perdre toute motivation et aussi le rabâchage systématique en guise d’enseignement. Il est mauvais à l’école, alors que c’est un enfant brillant…..Il ne fait pas confiance à son intelligence, il doute sans cesse de lui… Ces mauvais pédagogues prétendent le juger et même le condamner : c’est insupportable !
    Je me suis dit : ces gens là ne travaillent que pour les meilleurs, les autres sont ÉVINCÉS et c’est bien le mot.
    Votre texte exprime exactement ce que je suis en train de vivre ! c’est simplement ahurissant ! Je ne sais pas quoi faire pour Rémi. J’ai le sentiment que nous sommes BROYÉS par le système.

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  6. Alain dit :

    bonjour Carole. Je vous comprends très bien (ayant moi-même eu des enfants « en difficulté scolaire » comme on dit pudiquement). Il ne vous reste bien sûr plus qu’à changer d’établissement voire – hélas – à mettre votre enfant dans le privé!

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