Un monde différent?

Dul, de Chroniques de Buenos Aires , m’a mis la puce à l’oreille à propos de Mohammed Yunus, dont une interview paraissait dans « Le Monde 2 », ce week-end.

 

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photo:http://commons.wikimedia.org/wiki/Image:Muhammad_Yunus_2.jpg

Je m’y suis précipité, j’ai lu et j’ai apprécié. « Le système est aveugle à toute autre considération que le profit » dit le prix Nobel de la Paix, et la phrase est reprise dans le titre de l’article. On ne saurait être plus explicite ni aller plus droit au but. A partir de là, la question est : que faire pour infléchir la force brute de l’argent, faire évoluer les choses dans une autre direction ? Comment lutter contre cette folie ?

Le combat de Yunus , à première vue, se nourrit de petits moyens, il est peut-être pourtant une voie possible. Bien sûr, à y regarder de près, son analyse du salariat et de l’aliénation du travail de l’homme moderne n’est pas neuve puisqu’elle ressemble beaucoup à celle de Marx (du jeune Marx en tout cas, celui des Manuscrits de 1844)manuscrits_1844_l20.1209368627.gif. Il est vrai que nos vies sont devenues rigides parce que nous sommes toujours dans la dépendance, d’un patron ou d’un Etat, et que le produit de notre travail au lieu de nous libérer s’objective et devient étranger à nous-mêmes, nous transformant en son esclave. Mais là où nous aurions tendance à dire : oui mais que faire ? (puisque les tentatives de révolution ont échoué, que le « socialisme » s’est mué en cauchemar, et que la Chine loin de s’être mise en communes comme le chantait Aragon s’est mise en multinationales et succursales), Yunus, presque naïvement, relève le défi. Il s’agit en somme d’utiliser les moyens du capitalisme financier mais de les infléchir. Qu’est-ce qui ferait a priori que toutes les actions économiques soient tournées vers la maximisation du profit d’une caste, voire d’un seul individu ? « Tout le monde espère gagner de l’argent en faisant des affaires. Mais l’homme peut réaliser tellement d’autres choses en faisant des affaires ». Il dit encore : « le problème central du capitalisme « unidimensionnel » est qu’il ne laisse place qu’à une seule manière de faire : rentrer des profits immédiats. Pourquoi n’intègre-t-on pas la dimension sociale dans la théorie économique ? Pourquoi ne pas construire des entreprises ayant pour objectif de payer décemment leurs salariés et d’améliorer la situation sociale plutôt que chercher à ce que dirigeants et actionnaires réalisent des bénéfices ? ».

On trouve sur le blog de Danielle Mitterrand une réflexion qui va dans le même sens, portant sur les fameux indices économiques (PNB, PIB etc.). Bien avant que S. ait initié, à grands renforts de pub, une commission dirigée par deux autres Prix Nobel (Joseph Stiglitz et Armatya Sen – et c’est une satisfaction de découvrir qu’il peut y avoir un renouveau de la pensée économique grâce à l’apport intellectuel de pays émergents comme l’Inde et le Bangla Desh), la fondation France Libertés que dirige l’épouse de l’ancien président, avait commencé à travailler sur ce sujet, à partir des travaux de Patrick Viveret. Elle les résume de la façon suivante :

« Nous sommes parvenu à 4 conclusions (provisoires).

Les nouveaux indicateurs :

ne doivent pas être considérés comme de simples instruments de pilotage, complémentaires au PIB, mais doivent être une alternative au PIB,

doivent rendre compte de l’impérieuse nécessité de mieux répartir les richesses existantes et de mettre fin à leurs accumulations indues,

doivent prendre en compte les effets négatifs de l’exploitation outrancière des ressources naturelles et des dégradations du cadre de vie en objectivant les ravages provoqués par la marchandisation des biens publics mondiaux,

doivent être conçus comme des moyens de mesurer les progrès des Droits de l’Homme. »

Ces réflexions entrent dans le cadre d’une nécessaire réévaluation de la nature et de l’apport des sciences humaines à la société. Trop d’économistes et de chroniqueurs radio (n’est-ce pas Jean-Marc Sylvestre ?) prêchent depuis des décennies, contre toute évidence, que l’économie est une science exacte et possède ses « lois d’airain » auxquelles il serait vain de vouloir échapper. Au pire c’est de la malhonnêteté, au mieux un manque de recul consternant. Les sciences sociales souffrent de la confusion entre empirisme et normativité. Que les mécanismes économiques observés conduisent à l’élaboration de modèles où tout se passe comme si le profit maximum immédiat était toujours visé ne conduit pas à inscrire cette hypothèse théorique (et facile) comme une « loi » inviolable. Cette confusion des économistes rappelle celle des sociologues, si souvent, à cause de cela, manipulés par les médias, dont les travaux qui se veulent « explicatifs » sont présentés (souvent avec leur complicité, il est vrai) comme apportant des justifications à l’inexcusable. Il serait temps que les journalistes et certains chercheurs en sciences sociales (qui croient aveuglément en leurs modèles) prennent des cours d’épistémologie.

Quant au reste, quant à l’action, qu’attendons-nous, camarades, pour nous retrousser les manches ?

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4 commentaires pour Un monde différent?

  1. Bonjour Alain,

    vous avez ajouté mon blog L’Inde en ébullition en lien, je vous en remercie d’autant plus qu’il m’a permis de tomber sur le votre. Il est de grande qualité tant sur le fond que sur la forme.
    Je crois que nous avons quelques centres d’intérêt en commun Buenos Aires, l’Inde et la révolution…
    au plaisir de vous lire,

    Anne-Gaëlle

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  2. Ah une petite remarque, je pense que vous devriez changer la couleur du proverbe tibétain car il est difficile à déchiffrer

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  3. alainlecomte dit :

    merci beaucoup Anne-Gaêlle. Cela me fait très plaisir de vous voir vous ajouter au cercle très restreint de mes lecteurs qui laissent un commentaire sur mon blog! En effet, j’ai été attiré par votre blog et je le lis assidument car j’éprouve une grande passion pour l’Inde et je suis très intéressé de savoir comment on la vit au quotidien. J’ai découvert Bombay, avec C., mon épouse, en 1996. Cela nous a paru si terrible que nous avons eu la tentation de… reprendre l’avion immédiatement! heureusement, nous ne l’avons pas fait. Je trouve la phrase que vous mettez dans votre présentation très juste… envie de quitter l’Inde quand on y est mais dès qu’on y est plus, une seule envie: y retourner. D’ailleurs cette année, nous y retournons (mais au Ladakh, encore une fois).
    Amitiés, Alain

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  4. alainlecomte dit :

    PS: pour le reste, oui, c’est vrai, intérêt pour Buenos-Aires et… pour la révolution!!! mais pour d’autres choses aussi comme vous le constaterez….

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