Tibet, Tibet

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Est-ce que je devrais parler du Tibet ? Après tout, avec un tel titre de blog (oui, c’est du tibétain dialectal), ce devrait peut-être même être un devoir. A vrai dire, j’ai déjà parlé du Tibet sur ce blog. Il y a pas mal de temps faut dire… pour signaler notamment l’assassinat dont se rendirent coupables les gardes frontières chinois à un col près du Cho-Oyu, il y a environ une année. Pas de chance pour le pouvoir chinois, la tuerie avait eu des témoins qui, même de loin, avaient pu filmer la scène, ce qui donna lieu à une vidéo facilement trouvable sur le web. Les gardes-frontières avaient eu du mal à se justifier en prétextant la légitime défense….

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(présence policière à Lhassa, en 2005)

Et puis voilà, je n’en ai plus trop reparlé. Et voilà que l’actualité remet le Tibet au premier plan. Que les moines se mettent à envahir les rues de Lhassa ou de Xia He. D’où vient que je reste un peu sur ma réserve ? Sans doute que j’ai peur. Pas pour moi, bien sûr !!! Pour eux. Oui, pour tous ces Tibétains qui vont se faire écraser dans le silence et à l’insu de nous, maintenant que les portes de ce haut pays sont hermétiquement fermées. Je n’ai pas envie de les encourager à se faire tuer. Ce qui va pourtant arriver.
Je me souviens de voyages au Tibet, de voyages au Sikkim, de voyages dans le Nord-Ouest indien (district du Lahaul, vallée du Spiti), de rencontres avec des moines, des réfugiés du Tibet et même avec… (mais de loin, ou bien une fois au cours d’un voyage entre Baghdodra et Delhi où je voyageais dans le même avion que lui) le dalaï-lama, oui, His Holiness en personne… ce type qui possède une présence si incroyable qu’on ne peut pas ne pas être ému à son contact (à quoi cela tient ? sa voix de stentor ? son regard aigu ? son rire qui remue les tréfonds de notre être ?). Je revois (c’était en 2002) des dirigeants de camp de réfugiés, ces sortes de « fonctionnaires » du gouvernement en exil avec qui je m’étais entretenu, à Darjeeling comme à Ravangla (Sikkim), qui manifestaient leur envie de sortir de cette situation d’assistés dans laquelle les confinaient à la fois le gouvernement indien et les associations de soutien internationales (à l’époque, j’en représentais une, active dans la région grenobloise), et qui me disaient : nous avons moins besoin de « dons » que d’aide effective dans des domaines vitaux pour l’avenir de notre jeunesse, comme l’éducation (ils se plaignaient de la mauvaise qualité de l’école officielle indienne) et là ils me disaient « envoyez nous des enseignants de maths, d’anglais ou… de chinois, ça nous serait plus utile que nous installer des ateliers de sculpture sur bois dont nous ne faisons rien au bout d’une année » (car oui, les « bonnes œuvres » ont de ces idées : on va leur donner « de quoi s’occuper » à ces pauvres orphelins). Bien sûr, j’avais du mal à mon retour, à convaincre les adhérent(e)s de mon association, férus de bouddhisme livresque et confits en dévotion, que les jeunes Tibétains éclairés demandaient pour leurs enfants des cours de maths plus que de religion …

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classe d’une école au centre de réfugiés tibétains de Ravangla

Les Tibétains réfugiés en question retournaient parfois au Tibet, au péril de leur existence ou en tout cas de leur liberté, afin de revoir leur famille, et le plus souvent ils revenaient ensuite en Inde. Ils ne croyaient plus trop en « l’indépendance » mais appelaient de leurs vœux une normalisation de leurs rapports avec la puissance chinoise. Certes peut-être n’était-ce qu’un son de cloche et je sais qu’à Dharamsala, la capitale, grouillante d’activisme et d’intrigues, les jeunes du Tibetan Youth Congress et parmi eux le propre frère du Dalaï-Lama, ruaient déjà beaucoup dans les brancards et mettaient fortement en cause la ligne dite « du juste milieu » prônée par le digne quatorzième. Mais je ne suis jamais allé à Dharamsala…
Vers la même époque, je pris connaissance du livre de Patrick French, qui s’intitule « Tibet, Tibet – A personal history of a lost land », tibet-tibet.1206046097.jpglivre qui eut beaucoup d’écho dans le monde anglo-saxon avant d’être traduit en Français. L’auteur y lançait quelques avertissements et mettait en lumière les malentendus susceptibles d’intervenir entre Tibétains et Occidentaux.
Il disait en particulier ceci :
« There were moments when it appeared that foreign lobbying had only served to tighten repression and promote false hopes among Tibetans »
Il mettait l’accent sur le fait que trop souvent dans l’histoire récente (et particulièrement durant les évènements tragiques de 1989) les Tibétains avaient pu mal interpréter les manifestations de soutien venant de l’Ouest : si des foules acclamaient le Dalaï-Lama aux alentours du Capitole, c’était forcément parce que les leaders américains étaient quasiment prêts à intervenir pour les libérer de l’oppression chinoise !
Dans le même ordre d’idée, je me souviens qu’au monastère de Ki (Lahaul), lors des traditionnels « enseignements du Kalaçakra » donnés par le Dalaï-Lama en personne, furent présentés à la foule des envoyés du Parlement Européen, porteurs de la « bonne nouvelle » selon laquelle ledit parlement avait voté une « résolution » de soutien au peuple tibétain. Evidemment, les pauvres paysans et moines qui se trouvaient là n’avaient aucun moyen de savoir que de telles résolutions, il s’en vote à la pelle et qu’en général elles n’engagent aucun gouvernement (puisque presque par définition… il n’y a pas de gouvernement de l’Europe, ce que les Tibétains ne savent pas bien sûr). De tels soutiens « gratuits » s’avèrent en général assez contre-productifs (c’était l’avis défendu par Patrick French) car ils encouragent à des actions sans issue qui se soldent par des morts.

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le dalaï-lama et la foule de paysans tibétains venus l’écouter, au monastère de Ki, en 2001

Je crains donc fortement que l’histoire ne se répète.
Que deviennent les opposants des régimes répressifs une fois que les caméras de l’occident détournent le regard ?
A lire ici : le témoignage unique d’un touriste français qui se trouvait à Lhassa lors des premières manifestations.

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4 commentaires pour Tibet, Tibet

  1. Leila Zhour dit :

    Combien vous avez raison et combien je le regrette…
    La chine et tous les pays dictateurs massacrent dans une tranquille indifférence internationale, non que les gens ne s’indignent pas, vous, moi, tant d’autres… Non. ce n’est pas le manque de réactions qui est désolant. c’est le manque de moyen de réactions politiques. Cela tient sans doute à la lâcheté non pas des gens mais des états.
    Malheureusement, il faut admettre que les états représentent les gens et que nous avons donc les capacités que nous méritons, d’une certaine manière.
    Si le courage manque pour boycotter les jeux de pékin, c’est que nous pouvons réellement voir massacrer des civils sans réagir. Même moi, même si je ne suis ni athlète ni femme politique ni ministre des affaires étrangères. C’est une véritable honte qui m’envahit alors en me disant que je vis dans un pays, que je suis un morceau de ce pays qui ne réagit pas, ni au Tchad, ni au Tibet, ni ailleurs autrement que par de la guimauve sentimentale. Enfin je me surprends à ressentir une douleur meurtrière à l’égard de dirigeants dont je sais qu’ils me représentent et à qui je dénie totalement ce droit.

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  2. « De tels soutiens « gratuits » s’avèrent en général assez contre-productifs (c’était l’avis défendu par Patrick French) car ils encouragent à des actions sans issue qui se soldent par des morts »
    J’ai tendance à penser de cette manière. Mais c’est bien difficile à partager!

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  3. jmph dit :

    Des amis me demandent de signer une pétition soutenant le Dalaï Lama dans l’épreuve de force actuelle entre les Tibétains et le pouvoir chinois (http://www.avaaz.org/fr/tibet_end_the_violence/27.php).
    Je ne connais pas grand chose sur le Tibet en dehors de ce que disent les médias occidentaux (et des conversations avec toi, qui m’en ont sans doute davantage appris) et je me méfie des vagues d’émotions se donnant bonne conscience à bon compte.
    Pourtant, en delà de l’émotion, la crise actuelle ne doit-elle pas être une préoccupation majeure dans notre monde actuel, non seulement parce que cela concerne le « toit du monde » et la prochaine première puissance mondiale, mais aussi parce qu’il s’agit de la liberté d’expression, de religion, de culture ?
    Voir le très intéressant entretien avec Katia Buffetrille, tibétologue et ethnologue à l’Ecole pratique des hautes études (section sciences religieuses)
    publié dans Le Monde, « Chine et Tibet, une si longue histoire » (http://lemonde.fr/asie-pacifique/article/2008/03/22/chine-et-tibet-une-si-longue-histoire_1026383_3216.html#ens_id=1020806)

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  4. Alain dit :

    je suis moi aussi sceptique sur les élans émotionnels à bon compte et les signatures de pétition… ceci dit, je suis d’accord avc jmph sur le fait qu’il s’agit d’un sujet majeur, qui va au-delà des querelles d’histoire sur « qui était là avant qui? » (de fait à une époque, le domaine des Hans était dominé par le Tibet) et concerne la liberté d’expression, la survie d’une culture unique au monde (la philosophie bouddhiste tibétaine donne un corpus de textes et de réflexions qui égale la plus haute philosophie occidentale), la géo-stratégie, les problèmes d’environnement (ne pas faire n’importe quoi avec « le chateau d’eau du monde ») etc. Alors peut-être: et si on on se donnait essentiellement pour but de faire pression sur Sarko pour qu’il adopte une position au moins comparable à celle d’Angela Merkel?

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