Mais que se passe-t-il chez nos voisins helvètes ?

Comme il y a quelques temps que je ne suis pas allé en Suisse (ce que C. et moi avons l’habitude de faire plusieurs fois par an pour diverses occasions de rencontre familiale) sauf pour des errances au fond d’une vallée heureusement peu urbanisée, du côté du mont Dolent et du lac Fenêtre, je ne suis plus tellement au courant de l’actualité helvétique. Grande a donc été ma surprise de lire, envoyé par un ami, un article récent du New York Times (eh oui, il faut passer par New York pour avoir des nouvelles sérieuses de la Suisse – je n’ai rien lu de tel pour l’instant dans nos journaux nationaux – ) faisant état de graves désordres dans les rues de Berne et d’un climat très détestable à la veille des futures élections nationales. Je traduis ci-dessous un passage de cet article :

« Les affiches placardées sur les murs pour un rassemblement politique ici (à Schwerzenbach – Suisse -) révèlent la crudité de la campagne électorale nationale en Suisse : trois moutons blancs se dressant sur le drapeau suisse pendant que l’un d’eux éjecte un mouton noir. « Pour notre sécurité » dit l’affiche. L’affiche n’est pas la création d’un mouvement marginal, mais du parti le plus puissant au sein du Parlement Fédéral et faisant partie de la coalition gouvernementale, un parti d’extrême droite appelé Parti du Peuple Suisse (ou SVP). Elle a été distribuée dans un mailing de masse et reproduite en des millions d’exemplaires dans le pays. »

Pour plus de précision, je dois ajouter que « SVP » est le nom que s’est donné en Suisse alémanique un parti qui jusque là, sur tout le territoire, s’appelait « UDC » (dénomination qu’il a gardé en Suisse romande). UDC : Union Démocratique du Centre… ça vous a un air anodin, bonhomme, centriste, quasi bayrouesque… mais SVP : Schweizerische Volkspartei, ça sonne tout de suite un peu différemment… plus martial, disons.

Recherchant dans la presse suisse, de quoi recouper ces informations, je tombe, sur le site du journal « le Temps » :

 

« Jamais campagne électorale n’a été si agressive. Un pas de plus est franchi avec les batailles de rue. • Empêchée de défiler et de tenir son meeting sur la place Fédérale, l’UDC se pose en victime. • Quelque 500 casseurs mobiles et déterminés ont semé le chaos et mis en déroute la police bernoise ».

 

Gloups. J’ai le sentiment d’avoir raté quelque chose au film… ceci est également illustré par une photo que publie Dunia [qui diffuse en ce moment sur son blog, son second roman par épisodes – publicité non payée -], montrant une affiche de ce parti, surchargée d’inscriptions par ses opposants et où le dirigeant Christophe Blocher est maquillé en Hitler.

Sachons encore que ce parti peut remporter les élections au prochain scrutin, que le Christophe Blocher qui le dirige est un milliardaire, actuellement conseiller fédéral en charge du Département… de la Justice, un tribun populiste qui fait campagne contre les étrangers depuis de nombreuses années. Pour dire où en sont venues les choses, un autre conseiller fédéral, en charge du Département de l’Intérieur celui-là, et membre d’un autre parti, le Parti Radical, Pascal Couchepin, est allé dans une interview donnée à un journal tessinois jusqu’à comparer Blocher à Mussolini. Quand on sait le caractère feutré des débats en Helvétie, c’est hautement significatif d’un ébranlement profond de la société.

Pour corriger l’article du NYT, il faut nuancer la notion de « coalition au pouvoir », qui donne l’impression, telle qu’elle est dite, qu’une union de circonstance se serait produite entre partis modérés et partis extrémistes pour diriger le pays, de manière analogue à ce qui s’était produit en Autriche à l’époque de la gloire de Jörg Haider. En réalité, la Suisse est dirigée depuis la fin de la seconde guerre par une coalition « instituée », qu’on appelle souvent « la formule magique » : un doigt de libéraux, un doigt de conservateurs, un doigt de chrétiens démocrates, un doigt de socialistes et vous touillez. Ce qui s’est passé en réalité c’est que l’un de ces partis (l’UDC) a été victime d’entrisme de la part de l’extrême droite et a changé de nature au cours des années récentes. C’est ainsi que son leader est, de manière toute naturelle, l’un des conseillers fédéraux et donc… appelé à devenir président de la Confédération en 2009 !

Mais revenons à l’affiche incriminée, que je reproduis en petit ci-contre (oui, en petit, ce n’est pas la peine de lui faire trop de pub…). bild-nav-links-f.1192178685.pngEvidemment, la présidente actuelle (dont j’ai déjà dit le plus grand bien ) s’est insurgée contre elle : « dégoutante, inacceptable ». On croirait entendre Fadela Amara… (sauf qu’il n’est vraiment pas question qu’elle démissionne, cela ferait la part trop belle au facho du coin). A y réfléchir un peu, on pourrait se dire que c’est quand même un peu fort d’assimiler ainsi les Suisses… à des moutons, et que l’électeur ne saurait accepter une telle identification. Il faut alors se reporter à l’analyse de Jean-Michel Adam, célèbre linguiste de l’Université de Lausanne, parue dans un tout jeune journal indépendant genevois : Le Courrier , qui dit ceci :

 

« Même blancs comme nos neiges éternelles, de tels moutons doivent être bien parqués, bien gardés et protégés du loup par un berger et ses chiens. Ceux-ci ne sont pas loin, ils sont cachés sous le slogan, tout en bas à droite de l’affiche: «Pour une Suisse forte». On a compris le message: une Suisse forte a besoin d’un chef fort et de chiens forts et d’éviter tout métissage… Le sens de cette fable, qui a le mérite de la clarté, rappelle les pires temps de la propagande politique menée par un sinistre autre Volkspartei ».

 

Je ne sais pas ce que sera le résultat des futures élections suisses. Rien n’est encore perdu et les institutions suisses renferment des mécanismes éprouvés de prévention contre les régimes autoritaires. Mais on aurait tort de dire « c’est la Suisse, cela ne nous concerne pas »… car la Suisse est, contrairement à ce que pensent ici certains esprits forts, infiniment proche de nous…

 

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(le Palais Fédéral à Berne)

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9 commentaires pour Mais que se passe-t-il chez nos voisins helvètes ?

  1. Et de plus, chez nos amis helvètes…on peut suivre…la saga Cécilia! que notre presse n’a pas l’autorisation de relayer!!!
    Ok, l’intérêt est mince, mais.. vérité au-delà des Alpes… ou l’inverse…?

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  2. Posuto dit :

    Je l’avais lu ici le mois dernier :
    http://belthane.blog.lemonde.fr/2007/09/17/la-suisse-ca-pue/
    Effarant et proche.
    Berk sera ma remarque la plus conceptuelle…
    Kiki

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  3. Michel Petit dit :

    Et cette fumée, là, derrière, qui fait penser à l’incendie du Reichstag !
    Au secours !

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  4. Kaa dit :

    Je me sentais déjà mouton noir en France, mais si je ne peux même plus aller planquer tous mes sous en Suisse, alors là…

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  5. Dunia dit :

    Je ne commenterai pas cet excellent article, la politique suisse me donne envie de vomir en ce moment.

    En revanche c’est avec plaisir que je dis merci pour la pub gratuite faite à « Inertie » le roman que je publie par épisodes sur mon blog 🙂

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  6. Tietie007 dit :

    Tout fout le camp en Suisse …si les helvètes commencent à manifester, c’est vraiment la fin des haricots …

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  7. Alain L. dit :

    Chantal: est-ce que vous avez des nouvelles fraîches de l’affaire?
    Merci Kiki pour ce lien vers un blog que je ne connaissais pas et qui en effet a donné un article sur ce sujet bien avant moi – preuve que je ne suis pas parfaitement l’actualité –
    Dunia: je n’ai pas toujours le temps de lire en détails « Inertie », mais au moins je le survole et… je me tiens informé! (hmmm, ce Patrick… il a du lui arriver malheur, à mon avis)
    les autres: rigolez pas trop…. vu de l’étranger, l’Agité qui nous gouverne ne paraît pas très rassurant non plus….

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  8. « Mais on aurait tort de dire « c’est la Suisse, cela ne nous concerne pas »… car la Suisse est, contrairement à ce que pensent ici certains esprits forts, infiniment proche de nous… « .
    Tout à fait d’accord et merci de nous informer car de ce qui se passe en Suisse, on n’en parle pas dans les médias français. Cette phrase, il faudrai aussi la dire et la répéter pour la Belgique où le nationalisme flamand oeuvre de plus en plus à visage découvert tout en contaminant les autres partis dits démocratiques.

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  9. Belthane dit :

    Excellent article. Merci pour votre lien. J’ajouterai simplement deux choses:
    L’affiche incriminé est placardé en Suisse depuis le début de l’été, mais ce n’est que samedi dernier (le 6 octobre donc) qu’une manifestation de l’UDC et une contre-manifestation ont eu lieu a Berne… L’affrontement a été inévitable et il y a eu des degats. Du coups les medias se sont penché sur l’affaire. Rien de bien glorieux en effet. La premiere étape de ce long feuillton nauséabond aura lieu ce dimanche, et le denouement en decembre avec l’election par les nouvelles chambres du conseil federal.

    Pour info, le Courrier n’est pas un « tout jeune journal », il est certe independant et se bat pour survivre, mais il existe depuis fort longtemps. Petite precision sans grand interet 😉

    Bien a vous.

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